À Montmartre, la Villa Junot d’Iconic House joue les maisons d’artistes surréalistes

Sous l’impulsion d’Iconic House, le studio d’architecture d’intérieur Claves redonne vie à un hôtel particulier montmartrois des années 1920. Mosaïques d’époque, staff sculpté, fresques trompe-l'œil et curation artistique dessinent les contours d’un récit où l’Art déco flirte avec le surréalisme. 

Derrière ses balcons en fer forgé et ses volumes redessinés, la Villa Junot cache un récit à tiroirs. Celui d’une maison construite en 1926 pour le compositeur André Mauprey, célèbre pour avoir adapté en français L’Opéra de Quat’sous de Bertolt Brecht. Celui aussi d’un édifice morcelé au fil du temps, transformé en appartements, puis récemment racheté par Iconic House pour devenir leur première maison hôtelière parisienne. Visite en compagnie de Laure Gravier, moitié du duo Claves (aux côtés de Soizic Fougeront) qui signe cette sublime rénovation.


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L’Art déco comme point d’ancrage

Pour redonner cohérence et unité à ce lieu aux fonctions éclatées, tout a été repensé : les circulations, les ouvertures et les usages. « Nous avons dû recomposer une maison à partir de fragments car l’ancien propriétaire en avait fait un immeuble d’habitation. Des escaliers avaient été condamnés, les volumes dénaturés. Il fallait tout reprendre », confie Laure Gravier.

L’agence choisit tout naturellement de travailler avec la mémoire du lieu comme matière première : « Quelques éléments d’origine ont survécu comme les deux balconnets du grand salon, probablement pensés pour les récitals d’opérette, une magnifique salle de bains en mosaïque datant des années 1930, un bas-relief au-dessus de la cheminée, les ferronneries du garde-corps, en forme de clef de fa… Tout ça nous a donné une direction. »

À partir de ces repères, Claves compose une nouvelle grammaire décorative, fidèle à l’esprit des années 30 mais résolument contemporaine. Les boiseries Bubinga, un bois précieux d’Afrique de l’Ouest, travaillé par la Maison Chabot, dialoguent avec des laques brun orangé, des mosaïques, tandis que des arches réalisées par Staff Espaces Volumes découpent les perspectives.

Le surréalisme comme fil narratif

L’âme du lieu s’évade aussi volontiers du côté du surréalisme. Car à Montmartre, difficile de faire abstraction des avant-gardes artistiques. Dès le brief de départ, Iconic House évoque une maison hantée par la musique et l’imaginaire. Claves répond par une curation d’artistes qui convoquent les grandes figures de ce mouvement interdisciplinaire qui puise ses origines dans le dadaïsme : chimères, symboles astrologiques, illusions, corps métamorphosés…

Portrait de Laure Gravier et Soizic Fougeront, les fondatrices du studio Claves, qui signe la Villa Junot, première maison hôtelière d’Iconic House.Galatée Martin : fresques dans les niches de l’entrée
Portrait de Laure Gravier et Soizic Fougeront, les fondatrices du studio Claves, qui signe la Villa Junot, première maison hôtelière d’Iconic House.
Galatée Martin : fresques dans les niches de l’entrée MR. TRIPPER

On y croise une œuvre en plâtre de Thibault Perrigne (en écho au bas-relief du salon), un tableau de Lia Rochas (collages drapés), une fresque de Maldo Nollimerg, un diptyque au-dessus du piano d’Antoine de la Boulaye, des vitraux de Sophie Toporkoff et des fresques du peintre en décors Mauro Ferreira : drapé en trompe l’œil de la cage d’escalier, étoiles à la feuille d’or dans le bar, fresque de la piscine dans le style de Magritte, plafond étoilé dans la chambre enfants…

En référence au théâtre, la scénographie décline et s’amuse avec le thème du rideau. Chaque pièce réserve son lot de surprises tandis que le choix du mobilier relève d’un savant mélange entre pièces sur-mesure (banquettes, têtes de lit, table de salle à manger), éditions en série limitée ou non (banquette jaune Red Edition, table basse Kim Moltzer, suspension vigne de Léa Zéroil, étagère murale Jacobson  AMPM, console de Jacques Ducru pour Ligne Roset, Soho Home…) et trésors chinés (Luigi Serafini, Willy Rizzo, Goffredo Reggiani).

Habiter avec l’art

Dans ce décor soigneusement composé, le studio d’architecture intérieur échappe à la tentation muséale. « On voulait que la maison soit incarnée, qu’elle ne ressemble pas à un showroom », explique Laure Gravier. Livres, coussins, céramiques, luminaires, tissus et textures composent une atmosphère intime, presque onirique. Une ambiance nourrie par un imaginaire visuel et littéraire soigneusement cultivé, où se croisent La Belle et la Bête de Jean Cocteau, le ballet Parade écrit par ce dernier sur une musique d’Erik Satie, qui dresse un pont entre musique, costumes de Picasso et décors de scène, le film Alice de Jan Švankmajer d’après l’œuvre de Lewis Carroll, ou encore les poèmes de Pierre Reverdy, qui mêlent Montmartre au surréalisme.

L’ombre du Roi et l’Oiseau Jacques de Prévert y plane aussi, tant l’imaginaire du conte imprègne le lieu. Laure Gravier revendique cette porosité entre les disciplines, nourrie autant par ses années à l’école Camondo que par son hésitation à faire les Beaux-Arts. « Ce qui m’intéresse, c’est la manière d’habiter avec de l’art. Comment on fait entrer une œuvre dans un contexte domestique sans la figer. C’est pour ça que j’ai rejoint l’agence de Pierre Yovanovitch à l’époque. Et c’est ce que nous poursuivons aujourd’hui avec Soizic, dans chacun de nos projets. »


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