Adrien Selbert / Vu pour Libération

Richard Peduzzi s’expose au Mobilier national

Entre la sortie de sept tapis chez Carpet Society et son exposition « Perspective » au Mobilier national, les créations de Richard Peduzzi sont à l’honneur en cette rentrée. L’occasion de saisir toute la densité de ce scénographe d’exception, qui fut le décorateur de Patrice Chéreau pendant plus de quarante ans.

Le maître du décor et de la scénographie Richard Peduzzi continue de faire parler de lui. Ce mois-ci, non seulement il sort une collection de sept tapis chez Carpet Society mais, surtout, il est à l’honneur d’une exposition de taille au Mobilier national (jusqu’au 5 janvier 2025). De quoi se (re)plonger dans l’univers de ce créateur hors pair.


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Richard Peduzzi, vers l’épure

Scénographe majeur du théâtre français, peintre, designer et architecte d’intérieur, Richard Peduzzi poursuit, à 81 ans, son exploration en signant cette rentrée une collection de sept tapis ultra-graphiques réalisés par Carpet Society (ex-Codimat Collection), le couturier des sols. La maison a le goût et les moyens artisanaux de célébrer les arts, et pas seulement décoratifs.

Le Tapis Wozzeck (Carpet Society) qui reproduit, nuances comprises, la peinture préparatoire de Richard Peduzzi pour le décor de l’opéra d’Alban Berg, mis en scène par Patrice Chéreau en 1992.
Le Tapis Wozzeck (Carpet Society) qui reproduit, nuances comprises, la peinture préparatoire de Richard Peduzzi pour le décor de l’opéra d’Alban Berg, mis en scène par Patrice Chéreau en 1992. DR

Pour Pascal Pouliquen, directeur général de Carpet Society, Richard Peduzzi est une légende « forte de cinquante ans d’espaces scéniques ». Ses décors ont été l’écrin de moult mises en scène de théâtre et d’opéra, notamment au service des metteurs en scène Patrice Chéreau et Luc Bondy.

Jusqu’au 5 janvier 2025, cette longue histoire créative, peinte et dessinée, est mise en « Perspective », titre de l’exposition qui se tient à la galerie des Gobelins du Mobilier national. En 1988, l’institution avait vu naître dans ses ateliers le premier meuble de l’artiste, Rocking Chair. Cette épaisse feuille de bois qui dessine dans l’air un siège ne reposant sur rien a plus tard été redessinée en métal rouillé, puisant son inspiration dans le travail du sculpteur Richard Serra.

L’exposition, qui invite à pénétrer dans son univers, rappelle à quel point les arts décoratifs touchent à la peinture, au dessin, à l’écriture, à la musique, aux costumes, à la scénographie, au design ou encore au paysage. Les travaux, passés et présents, sont exposés sur deux niveaux, comprenant du mobilier, des œuvres graphiques, des maquettes, des dessins et toiles de son atelier, sans oublier l’accrochage mural de six des sept nouveaux tapis Carpet Society. Ce qui tient lieu de dessins préparatoires à ces œuvres décoratives sont surtout de vrais tableaux.

L’ARC a réalisé la prouesse technique indispensable à la mise en œuvre des vœux du concepteur.
L’ARC a réalisé la prouesse technique indispensable à la mise en œuvre des vœux du concepteur. Isabelle Bideau

« Ce qui m’intéresse, c’est de construire ma peinture, explique l’artiste. Faire des dessins et les voir devenir des “trucs” de 12 mètres de haut, cela m’amuse beaucoup. Mais il ne faut pas se tromper avec les proportions, l’encombrement, les dimensions et les matériaux. Quand je fais un décor de théâtre, après le dessin, je crée une maquette du plateau vide. Je me demande comment l’habiter sans déranger cette beauté, qui se passerait d’ailleurs bien de décor. À moi de trouver quelque chose qui fasse sens avec la pièce, en tenant compte des émotions qu’elle diffuse. »

Pour Carpet Society, le tableau « préparatoire » du décor de l’opéra Wozzeck d’Alban Berg, mis en scène par Patrice Chéreau en 1993, est devenu, tel quel, un tapis. Au sol ou au mur, il en émane une impression de perspective, qui évoque la fuite.

Peindre et construire

Décembre 1968, Richard Peduzzi rencontre Patrice. Chéreau, fils d’artistes, metteur en scène de 24 ans, réalise ses décors lui-même. Richard aide Patrice. Tant et si bien qu’un jour ce dernier lui laisse les rênes du décor à planter. Richard se destine à la peinture, domaine où, à l’époque, l’abstraction fait rage. En revanche, côté théâtre et opéra, les décors peints sont ornés à l’excès. Richard déteste les deux.

Croquis, gouache et aquarelle de Richard Peduzzi pour la réalisation du mobilier de la villa d’un collectionneur à Vienne, en 2022.
Croquis, gouache et aquarelle de Richard Peduzzi pour la réalisation du mobilier de la villa d’un collectionneur à Vienne, en 2022. DR

Il préfère l’Italie, la Renaissance et ses chapiteaux. Au fil du temps, ses scénographies se feront plus abstraites. Richard aime le Quattrocento, la peinture flamande, Paul Klee, Nicolas de Staël et le gris des paysages des toiles d’Albert Marquet. Il vient d’ailleurs de matérialiser cet esprit chez le fabricant de peinture Argile, pour qui il a imaginé la collection « Ciel ».

Si c’était à refaire, le scénographe ne reprendrait pas à l’identique son décor du Ring de Wagner. En 1976, il réunissait Patrice Chéreau et Pierre Boulez pour le centenaire du Festival de Bayreuth. Le rideau est tombé sous les huées. La dernière année où l’opéra fut joué, ce fut soixante minutes de bravo, avec une salle les larmes aux yeux, l’intransigeant Boulez y compris. Le décor et la mise en scène n’avaient pas autant changé que le regard du public.

Vases Reform de Richard Peduzzi, anguleuse prouesse technique en pyramide inversée réalisée par la Manufacture de Sèvres en 1995.
Vases Reform de Richard Peduzzi, anguleuse prouesse technique en pyramide inversée réalisée par la Manufacture de Sèvres en 1995. Pénélope Chauvelot

Avec Chéreau, la complicité se passait de mots. Même si s’appeler à 4 heures du matin pour parler d’une idée relevait du possible. Quand Patrice et Luc Bondy disparaissent, Richard Peduzzi perd des frères. Le surlendemain de la première rencontre chez Carpet Society, on le retrouve dans son atelier parisien du IXe  arrondissement de Paris. Peduzzi nous montre les images d’un projet d’architecture intérieure.

À Vienne, dans la maison d’un collectionneur d’art devenu ami, des motifs en céramique sont incrustés dans le bois du plancher Versailles. Tout a été refait, jusqu’aux poignées de porte. Une verrière de couleur redéfinit la vue sur la cour. Le lustre en laiton brossé rappelle celui en fer rouillé de la Villa Médicis, qu’il dirige à partir de 2002 et dont il avait redessiné le jardin. Pour le même ami, il termine une villa de 750 mètres carrés à Porto-Vecchio. Hors de question pour lui de faire des maisons de petits théâtres. Même si, en regardant une chaise, Richard voit un temple à quatre piliers.

Lampe de Richard Peduzzi.
Lampe de Richard Peduzzi. DR

Ce qui est vital à ses yeux dans les intérieurs qu’il dessine? « Ça doit être le contraire de chez moi. Qu’on ait partout de l’espace pour respirer. Je rêve d’un endroit vide, sans rien , confie-t-il. Il se tiendra justement lors de « Perspective » un débat intitulé « Comment habiter le vide sans le déranger? » Autodidacte, Richard dessine une table comme il le ferait d’un décor d’opéra. « J’essaie de faire ressortir ce que je ressens et de parler de tout cela avec mes émotions », résume-t-il.

Richard Peduzzi a également réalisé les décors des films de Patrice Chéreau, La Chair de l’orchidée (1975), Judith Therpauve (1978), La Reine Margot (1994) et Intimité (2001). Ce dernier et Judith Therpauve, avec Simone Signoret, sont ses favoris. Il a refusé Pialat, Godard et Rohmer, faute d’écoute ou d’affinités. Avant de partir diriger la Villa Médicis, en 2002, il avait été nommé en 1990 à la direction de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD).

En 1988, Rocking Chair, dessiné par Richard Peduzzi, réalisé par l’Atelier de recherche et de création du Mobilier national.
En 1988, Rocking Chair, dessiné par Richard Peduzzi, réalisé par l’Atelier de recherche et de création du Mobilier national. Pénélope Chauvelot

Durant les deux ans de travaux, il avait déménagé l’institution à la Manufacture des œillets, à Ivry-sur-Seine. Il s’y est beaucoup battu pour plus de transdisciplinarité. Lui-même travaille volontiers avec autrui, mais des personnes choisies, telles que le designer graphique et typographe Philippe Apeloig, auteur de l’affiche de l’exposition.

« Quand Philippe me montre son travail, cela a vraiment quelque chose à voir avec le parallélépipède de la scène vide », analyse Richard Peduzzi. « Ce qui est bien chez Richard, c’est qu’il n’y a pas de recettes. C’est toujours de l’invention », déclare pour sa part Philippe Apeloig. À mesure qu’il l’écoute, le visiteur trouve au scénographe des airs de narrateur parfait.

L’un des sept nouveaux tapis Carpet Society signé Richard Peduzzi.
L’un des sept nouveaux tapis Carpet Society signé Richard Peduzzi. DR

Et pourtant, lorsqu’on lui parle d’intelligence artificielle, ce dernier conclut : « Plus c’est parfait, moins il y a d’âme. Ma discipline principale, c’est l’espace, la sensibilité, la peinture, l’émotion. Cela peut venir aussi bien d’une chaise que d’un décor. Et d’un fronton pour Tristan et Iseut faire un cuvier à vin pour Mouton-Rothschild. » Clap de fin.

> « Perspective », de Richard Peduzzi. Au Mobilier national, à Paris (XIIIe ), du 16 octobre 2024 au 5 janvier 2025. Pour compléter la visite: Percussion Discussion, conversation avec Arnaud Laporte, éditions Actes Sud, 2024.


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