Véritable révolution technologique née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le mobilier gonflable a dévoilé de nombreux visages au cours des décennies jusqu’à redevenir à la mode aujourd’hui.
« Les premiers matelas gonflables apparaissent après la guerre. C’est dans les années 60 que le mobilier se développe, notamment avec le travail de Bernard Quentin et son fauteuil « Molécul’air », mais aussi Quasar Khanh avec sa collection « Aerospace », ou encore le groupe Aeroland et leur fauteuil « Annulaire », rappelle Constance Rubini, directrice du musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux.
À ces esprits créatifs s’ajoutent aussi le Studio DDL qui va donner naissance au fauteuil « Blow » en 1967 chez Zanotta, mais aussi Verner Panton avec ses « Inflatable Stool ». Entre 1954 et 1960, le designer danois conçoit le premier siège gonflable de l’histoire en plastique transparent, à en croire la firme Verner Panton Design AG, propriétaire des droits concernant l’œuvre de l’artiste. À l’occasion du défilé Prada Homme Printemps/Été 2019 qui s’est tenu à Milan, un tabouret produit par Verpan a été réédité pour Prada : il est composé d’un film transparent 100% recyclable .
« Ce mobilier est aussi l’expression d’une nouvelle génération en rupture avec tous les dogmes de la modernité et qui a le désir de structures légères mobiles, d’un habitat éphémère, inspiré par la conquête spatiale. Tout cela est rendu possible grâce au développement du plastique et du synthétique depuis l’après-guerre. » souligne Constance Rubini. « Le plastique permet de concevoir des structures qui n’ont plus rien à voir avec celles du passé en ébénisterie, par exemple ».
Elle souligne aussi qu’il s’agit d’une « bonne technologie, légère, facile à transporter.» Cela explique pourquoi « le « Blow » de Zanotta de 1967 était vendu à plat, avec sa pompe à pied, pour que son propriétaire le gonfle à l’air. Ce sont des caractéristiques efficaces, mais aujourd’hui on n’ose plus tellement utiliser le plastique. En effet, il doit être souple pour être gonflé et confortable, et donc assez fragile. Il n’a pas cette image de durabilité, il est plutôt associé à ces objets d’outdoor que l’on peut abandonner d’une année à l’autre ».
Le mobilier gonflable prend des lettres de noblesse
Le mobilier gonflable ne serait donc qu’un bégaiement de l’histoire du design ? « Pas sûr» répondront ceux qui ont grandi dans les années 90 et qui constatent aujourd’hui une nostalgie de cette décennie, aussi bien dans la mode qu’en décoration. Un petit passage sur TikTok et Instagram montre un véritable engouement pour ce mobilier à air et aux couleurs vives. Un retour en grâce sous une forme différente, car contrairement aux années 90, le mobilier gonflable d’aujourd’hui aspire à être plus qu’un simple accessoire dans une chambre d’adolescent ou sur une terrasse.
La preuve avec la chaise gonflable « Ego » du designer canadien Sean Brown. « Elle a été conçue pour s’adapter aux endroits petits et grands. Comme siège supplémentaire en cas de besoin ou comme pièce maîtresse. La couleur ambrée transparente de la chaise capte la lumière et diffuse une teinte chaude dans toute la pièce. Durable et confortable, elle peut être prise au sérieux » nous assure l’équipe du studio.
En Europe, c’est la marque Mojow qui a choisi d’investir la discipline du gonflable avec des canapés, fauteuils, repose-pieds et tables basses qui reposent sur des structures en bois ou aluminium. Pour assurer résistance et conscience environnementale, Mojow utilise pour certains de ses produits, du TPU (polyuréthane thermoplastique), « une nouvelle matière recyclable et biodégradable » précise-t-on.
Si l’on retrouve cette dimension hédoniste et joyeuse, propre au mobilier gonflable des années 60, certaines propositions nous embarquent dans des univers à mi-chemin entre le design et l’art contemporain. Dans ce registre, le Studio Makkink & Bey a livré l’assise « Dust Furniture », qui n’est ni plus ni moins qu’un sac d’aspirateur prenant la forme d’un fauteuil une fois rempli de poussière.
Pas question de poussière pour « Portal Tables » de The Decorators … mais de bactéries. Constatant le regain d’intérêt pour la nourriture fermentée lors des confinements, le collectif a souhaité « encourager l’affect entre communautés microbiennes et humaines » à travers trois tables gonflables en polyuréthane pour trois usages : la « Kimchi-Pool » pour préparer à plusieurs le célèbre met coréen, la « Cheese-Board » pour concocter en solo son propre labneh, et enfin le « Sofa-Bread » où se reposer en duo, tout en laissant lever sa pâte à pain.
Spécialisé dans la conception d’uniformes, Older Studio s’est mis en tête d’habiller une assise avec les matériaux de son propre studio. Le résultat ? Une chaise emballée dans du PVC gonflable dont l’allure peut être modifiée à l’aide de cordeaux. Un meuble inspiré par le personnage de Zhora, issu du film Blade Runner.
De son côté, le studio Objects of common interest s’est aussi emparé du gonflable avec un fauteuil et quelques luminaires, tous en PVC biodégradable. Issues de la série « Atmosphere » ces pièces étaient présentées à l’occasion de l’exposition « Future Archeology » en 2021 à Copenhague.
Même le mobilier traditionnel s’inspire du gonflable
Le monde du gonflable fait aussi des petits dans le monde du mobilier traditionnel. Ainsi, l’une des assises les plus connues d’Instagram, « T4 » par Holloway Li et Uma est largement inspirée de l’esthétique des fauteuils gonflables.
Quant au designer coréen Seungjin Yang, il a investi le monde de l’enfance, des fêtes foraines et de ses sculptures en ballon pour donner naissance à des pièces de mobilier pleines d’humour faîtes de résine époxy.
Pas de plastique pour Zieta Studio mais deux tôles d’acier ultra-minces soudées ensemble et gonflées sous haute pression, déformant une forme plate en un objet en trois dimensions. Un projet auréolé en 2008 par un Red Dot Design Award.
Quand le mobilier gonflable est d’utilité publique
S’il est fantaisiste, coloré et conceptuel, le mobilier gonflable peut parfois se montrer utile.
Ainsi, c’est cette technologie qui a été utilisée par Alexia Audrain, ébéniste et conceptrice de mobilier, pour la création du fauteuil « Oto ». Inspirée par le travail de l’Américaine Temple Grandin, inventeuse de « la machine à serrer », aussi nommée « la machine à câlins », l’assise vient soulager l’enfant ou l’adulte avec autisme. Comment ? En venant l’étreindre grâce à des parois gonflables à la demande.
C’est aussi pour répondre à son allergie au soleil que l’artiste SiiGii a conçu « S.A.D: SUN ALLERGY DIARIES ». « Je ne pourrais jamais m’allonger sur un flotteur et me détendre au soleil. Je devais devenir le flotteur », explique l’artiste espagnol. Reprenant le traditionnel matelas gonflable, cette tenue singulière vient ainsi couvrir la quasi-totalité du corps.
Si le mobilier gonflable n’est pas une nouveauté en soi, la transposer de manière durable sur une planète autre que la Terre l’est vraiment. Ainsi le bureau d’architecture Skidmore, Owings & Merrill (SOM) a dévoilé en 2019 un projet de « Moon village » conçu en collaboration avec l’Agence Spatiale Européenne et le Massachusetts Institute of Technology. Cette proposition de communauté permanente sur la lune, comprend, sans surprise, des nacelles gonflables permettant d’accueillir de plus en plus d’habitants au fur et à mesure que la population augmente. Un charmant clin d’œil aux prémisses du gonflable … inspiré par la conquête spatiale.
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