Après le mycélium et les algues, c’est au tour du chanvre d’attirer le regard de créatifs à la recherche de matériaux bio-sourcés et à faible impact. Et à raison ! Celui-ci coche toutes les cases.
La culture du chanvre, en plus de s’adapter à tous les climats, nécessite peu d’intervention, une faible irrigation et aucun pesticide. La France serait même l’un des premiers pays à cultiver cette fibre qui peut, en plus, se targuer d’être zéro déchet. Ses graines agrémentent les assiettes, nourrissent la peau en cosmétique et se transforment en carburant pour moteur. Quant à ses tiges, elles possèdent des fibres plébiscitées dans le domaine du textile et une écorce résistante, légère et isolante, très recherchée dans le monde du bâtiment. Focus sur cette plante que redécouvre le milieu de l’architecture et du design.
Pour une architecture durable
Face au défi climatique et à l’épuisement des ressources, de nombreux architectes abordent leurs projets autrement. Les enjeux écologique et social les poussent en effet à utiliser de nouveaux matériaux, naturels ou recyclés.
Le chanvre n’est pas étranger au secteur de la construction. Sa fibre, réputée pour son isolation thermique et acoustique, est fréquemment utilisée pour remplacer la laine de verre. Mais depuis quelques années, c’est son écorce qui intrigue. Réduit en granulat puis mélangé à de la chaux, le chanvre se rapproche alors du béton, tout en étant vertueux et plus performant. S’il est résistant au feu, souple et léger, son utilisation entraîne néanmoins une contrainte puisque, contrairement au béton, il doit être appliqué sur une structure porteuse. Un défi qui inspire les architectes !
En 2019 par exemple, l’agence d’architecture Lemoal Lemoal a livré la salle sportive Pierre Chevet, le premier édifice public en France à utiliser le parpaing de chanvre de manière structurelle. Le projet était l’occasion d’expérimenter cette fibre naturelle et d’engager les acteurs du bâtiment dans une construction durable, implantée dans le territoire. 100% français, le parpaing de chanvre porté par une charpente en bois permet ici d’augmenter l’espace intérieur sans avoir recours à des colonnes.
Dans la région de Cambridge, à Magent Farm, Practice Architecture et Material Cultures se sont penchés sur la capacité du chanvre à absorber le carbone. Dans le monde de la santé, cette qualité était déjà sujette à des expériences. Avec leur projet de Flat House, la fibre est transformée en panneaux préfabriqués visibles de l’intérieur comme de l’extérieur. Un prototype construit en deux jours qui trace un nouveau chemin en matière de construction durable.
Une fibre qui séduit le monde du design
À l’image de l’architecture, le chanvre séduit de plus en plus de designers. Werner Aisslinger ouvre la voie en 2011 avec Hemp Chair, une chaise monobloc pour laquelle les fibres de chanvre sont compressées à chaud avec une colle thermo-durcissante. En résulte un objet solide et léger à la forme complexe.
Les jeunes designers s’orientent, eux aussi, vers cette matière versatile. À Berlin, Philipp Hainke reprend cette technique de compression avec la collection Organico. La fibre et la chènevotte (ou paille) de chanvre s’amalgament grâce à une colle composée de chaux et de caséine qui préserve ainsi toutes les qualités du matériau et du liant antifongique.
Dans cette démarche de valorisation des ressources renouvelables, le studio Giles Miller, aux côtés de High Society, entreprend la création de carreaux muraux fabriqués à partir des déchets du vin, du tabac, mais aussi du chanvre. Biodégradables, compostables et résistantes comme le ciment, les dalles sont utilitaires et esthétiques. Leur finition naturellement tachetée célèbre le processus de production tandis que les formes ondulantes jouent sur les reflets et créent des surfaces à l’aspect mouvant.
L’art du chanvre modelé
Le béton de chanvre s’invite aussi dans le monde de l’artisanat en se plaçant en alternative durable et pratique au béton. Pour la sculptrice Kristina Lula, la malléabilité est l’un des points forts de ce matériau. Il ne nécessite aucune machine et se travaille facilement à la main, laissant place à l’erreur, et à un remodelage infini. Ses objets-sculptures révèlent ainsi une matière qu’elle nomme « brute et indomptée » et qui, selon la température et l’humidité, transforme la finition de chaque pièce.
Avec le béton de chanvre, la créatrice Yasmin Bawa réunit différents champs d’expression. Façonnage, sculpture ou techniques de construction, il permet à l’artiste de modeler à l’instinct et sans limite. Car contrairement au grès, le chanvre ne nécessite aucune cuisson et n’entraîne donc aucune limite de taille, auparavant liée à celle d’un four. Récemment, la designeuse a dévoilé des luminaires et du mobilier aussi fonctionnels que sculpturaux. De l’architecture à l’artisanat, le chanvre n’a donc pas fini de surprendre et promet aux créatifs un nouveau champ des possibles.