Quand il est question du LUMA Arles, campus créatif initié par Maja Hoffmann, ce sont les façades en aluminium rutilant voulues par le starchitecte Frank Gehry qui viennent en tête. Et pourtant cette bâtisse qui puise son étrange silhouette dans celle des pics calcaires des Alpilles cache bien d’autres curiosités architecturales. A commencer par les murs de sa cage d’ascenseur habillés de pavés de sel, conçues par l’Atelier LUMA.
Raconter l’histoire de ce matériau revient à raconter celle de l’Atelier LUMA. Caroline Bianco, directrice adjointe date l’origine de ce laboratoire de design et de recherche aux discussions autour de l’aménagement intérieur du site : « Tout a commencé par une évidence : il va falloir aménager cette tour, pourquoi ne pas utiliser certains artisanats ou ressources du territoire ? Maja a contacté en premier Jan Boelen, (aujourd’hui directeur de l’Atelier LUMA), qui était alors responsable du design social à la Design Academy Eindhoven, pour faire venir certains étudiants et travailler sur une cartographie des ressources et des artisanats locaux. »
Un projet qui associe design social et écologie
De ces semaines de travaux sont nées quantités de recherche mais aussi un constat déplaisant : « A chaque fois qu’il est question de travailler avec le territoire, l’artisanat local intervient à travers quelques produits conçus pour des galeries ou dans une série semi-industrielle. Finalement cela n’apporte pas grand chose, ni au territoire, ni à l’artisan et c’est plutôt le designer qui récupère le bénéfice. C’est une chose avec laquelle je n’étais pas du tout d’accord. J’estime que dans une collaboration, il doit y avoir un gain des deux côtés. La question était la suivante : comment peut-on apporter à ces différents interlocuteurs locaux une vision un peu différente de leur savoir-faire et de la matière première qui les entoure ? Donc nous avons proposé à Maja d’aller plus loin et de commencer un cycle de résidences avec des designers externes. Nous sommes passés de cette envie de mobilier à l’envie de créer un petit laboratoire de recherche. »
De nouveaux travaux de cartographie du territoire, en termes de ressources, mais aussi de problématiques d’urgences sociales sont alors amorcés. « Nous avons commencé à travailler avec différents déchets agricoles, puis avec le sel », un matériaux quasi inexploité, voire une industrie en décroissance. « En Camargue et principalement à Salin de Giraud, les commandes étaient à la baisse alors que les quantités à disposition étaient colossales. Le personnel est passé d’une centaine à une trentaine de personnes. Une situation socialement très compliquée. Nos questions étaient les suivantes : qu’est-ce qu’est réellement le sel et comment peut-on revitaliser cette matière et le territoire qui l’entoure ?», interroge Caroline Bianco.
Le projet social a aussi de quoi se muer en projet industriel, notamment grâce aux capacités de productions des marais salants. « Le sel nous paraissait intéressant par rapport aux autres ressources que nous avions traitées parce que nous pouvions l’aborder comme quelque chose qui pouvait changer d’échelle. (…) Certaines matières sont disponibles dans des quantités importantes, d’autres moins et il faut être sûr que l’application que l’on va lui donner est en adéquation avec sa quantité » souligne la directrice adjointe de l’Atelier LUMA.
Un matériau intéressant qui aura pourtant nécessité près de quatre ans de recherches, « notamment pour comprendre sa cristallisation. Le sel est une matière complexe, parce que extrêmement difficile, corrosive, pas vraiment douce et qui ne laisse pas de place aux éléments étrangers ». Une fois domptées, les précieux cristaux révèlent néanmoins mille et une vertus : ignifugeant naturel et antibactérien puissant. L’Atelier LUMA travaille d’ailleurs actuellement sur un projet de poignée de porte en sel.
Une demande particulière de Frank Gehry
Revenons à nos pavés de sel demandés par Frank Gehry. Pour les concevoir, les équipes de recherche ont plongé des structures en métal anticorrosion dans le salin. Au bout d’une semaine, des cristaux s’y sont développés et ont pris un aspect rugueux et brillant. En cas de casse ou de détérioration, les caissettes peuvent être nettoyées dans un bain d’eau pour ensuite retourner en culture. Un système réutilisable à l’infini que l’Atelier LUMA souhaite diffuser via un outil de modélisation à destination des designers et des industriels afin de leur permettre de maîtriser la cristallisation du sel.
La matière peut, au passage, être colorée grâce aux algues en rose, orange, vert, bleu ou encore violet. Caroline Bianco insiste sur cet aspect esthétique : « Nous ne pourrons pas vraiment changer les choses si les matériaux et les applications que l’on créé ne donnent pas envie. Aujourd’hui, créer des matériaux avec des ressources naturelles ne veut pas dire revenir à quelque chose qui ressemble au mobilier de nos arrières grands-parents. Il faut se projeter dans le futur, dans la nature, essayer de la comprendre et d’en extraire certains aspects. Car elle offre quantité de techniques et de beautés extraordinaires. »