Mario Bellini, la master class d’un maestro

Il y a quelques années, lors de la cérémonie de réouverture du Musée de la Triennale de Milan, Philippe Starck salua à la fin de son discours les noms de grands designers italiens présents, avant de se rasseoir. Quelques secondes après, rouge de confusion, il redemanda la parole car il avait omis de saluer l’architecte et designer Mario Bellini. Ce maestro de 84 ans fait toujours l’actualité en 2019 pour des éditeurs comme Flos, Nemo ou Cassina, chez qui nous l’avons rencontré lors du salon de Milan.

Comment avez-vous retravaillé la chaise Cab, sortie en 1977 ?
Sans la moindre difficulté ! J’ai un rapport presque amoureux aux choses que j’ai dessinées. Je reviens volontiers sur ce que j’ai conçu pour y faire une modification, créer une variation, quelque chose de nouveau, pour un nouvel usage. A condition de conserver le langage d’origine, bien sûr ! Prenez Cab, à son sujet je préfère parler de « famille de chaises » parce qu’elle comprend désormais un tabouret haut, un bas, une chaise (avec ou sans accoudoirs), un siège pour enfant… Cela va jusqu’au fauteuil un peu long avec repose-pieds. Cette famille d’assises parle le langage de Cab par l’usage qu’elle fait du cuir de selle avec coutures apparentes.

Quel était le point de départ de cette chaise ?
Au début, elle ressemblait plus à un dessin d’enfant… J’ai demandé aux artisans de Cassina de matérialiser cette idée platonique en un squelette de tube métallique. Quand ils me l’ont apporté, il était impossible de s’asseoir dessus. Il fallait pourtant bien faire quelque chose de ce squelette de fer. Pour stabiliser les quatre pieds, nous les avons enveloppés de cuir zippé. Elle a pris vie au fur et à mesure que je l’assemblais…

Le Cab dans sa version avec accoudoirs (Cassina).
Le Cab dans sa version avec accoudoirs (Cassina). Cassina

Comment a-t-elle été accueillie à l’époque ?
Elle a reçu un très bon accueil avant de connaître une diffusion dans le monde entier (Australie, Chine, Vietnam, Hong-Kong, États-Unis, Japon, partout !). Il existe même à Taiwan des collectionneurs de Cab qui les conservent par année de production… Des gens sont aussi venus chez moi ou à mon bureau avec leur chaise à la main pour la faire signer. J’étais un peu interloqué, avec l’impression de les gâcher. Mais pas du tout, ils réclamaient même une signature en gros, bien visible ! Assez embêté, je me suis exécuté… J’ai donc compris que ces chaises, avec leur langage propre, m’avaient dépassé, ne m’appartenaient plus.

La chaise Cab était devenue le principe de base d’une collection…
Le principe d’un système, oui, je dirais un langage…

Mario Bellini avec ses Cab 2019 (Cassina).
Mario Bellini avec ses Cab 2019 (Cassina). Giovanni Gastel

La chaise était-elle d’emblée au centre d’un système d’assises ?
Non, ce langage, ce principe d’un système, est apparu avec le temps. La chaise Cab est née de mes mains, alors que je ne cherchais pas à produire quelque chose de précis. Elle est arrivée au terme d’un processus qui ne suivait pas les règles habituelles. Cette chaise m’a appris des choses…

La plus petite version de la chaise Cab n’a pas l’air identique au grand modèle…
Si la petite Cab est si réussie, c’est parce que ce n’est pas une simple réduction d’échelle. C’est une autre expression du langage dont je vous parlais. Ses jambes ne sont pas tellement plus courtes. Le modèle réduit à l’échelle aurait été affreux, ridicule et rachitique. Conserver les proportions, c’aurait été s’assoir sur le fait que même l’enfant a besoin d’une certaine hauteur pour ses jambes. C’est bien plus harmonieux comme ça !

Est-elle fabriquée de la même façon qu’en 1977 ?
Exactement de la même manière. Tout est pareil, jusqu’au zip !

La canapé Bambole, un autre classique de Mario Bellini (1972, B&B Italia).
La canapé Bambole, un autre classique de Mario Bellini (1972, B&B Italia). Photo DR

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