Marco Campardo, lauréat du Prix Ralph Saltzman 2023

Entretien avec un designer fasciné par l'art et la matière.

Lauréat du prix Ralph Saltzman 2023 décerné par le Design Museum de Londres, Marco Campardo puise son inspiration dans les matériaux pour donner vie à ses créations.


Portrait de Marco Campardo, lauréat du prix Ralph Saltzman 2023 - IDEAT 2023

IDEAT : Le prix Ralph Saltzman 2023 donne accès à une bourse et une exposition au Musée du Design de Londres. Qu’avez-vous choisi de montrer ?

Marco Campardo : Je voulais présenter des projets qui me tiennent à cœur, et qui révèlent les mécanismes de l’industrie du design. Il faut dire qu’entre la nomination et l’exposition, qui ouvre le 2 février, il n’y a pas beaucoup de temps ! C’est un petit défi qui oblige à aller à l’essentiel. Mon travail se concentre sur l’étude des matériaux, comme le révèlent les collections Reversible, Elle, Bullnose ou encore le mobilier George, un hommage au designer George Nakashima.

IDEAT : Ce sont souvent les propriétés des matériaux qui composent vos objets qui en dictent la forme finale… C’est plutôt inhabituel comme approche.

Marco Campardo : Je suis fasciné par le nombre d’idées que l’on peut avoir juste en se concentrant sur un seul élément, comme le bois ou le métal, par exemple. La chaise Elle est composée de la combinaison de pièces en forme de L, utilisées dans la construction. Les lignes graphiques fortes, que l’on retrouve dans tout le mobilier de la collection, sont nées d’un outil simple. J’ai remplacé l’aluminium par le laiton et utilisé de la peinture holographique pour donner une touche artisanale et sophistiquée. C’est un peu, à mon sens, une représentation du métier de designer spéculatif, qui consiste à tenter des expériences et à se poser beaucoup de questions.

Tabouret issu de la collection George
Tabouret issu de la collection George Marco Campardo

Vous prônez une utilisation responsable des matériaux… En quoi la collection Reversible, créée pour les vitrines du magasin Selfridges, tente-t-elle de répondre à ces problématiques sur l’environnement ?

Marco Campardo : Le monde du design peut produire beaucoup de déchets… Je voulais fabriquer des socles de présentation entièrement réutilisables. Ceux-là sont faits avec de l’argile et du sucre, et donc solubles dans l’eau ! Sur les six socles, trois ont déjà été fondus. Les trois autres seront présentés lors de l’exposition au Design Museum de Londres. Le titre de la série, Reversible est aussi une petite provocation adressée à mon milieu… Cela ne suffit pas d’utiliser des matières qui seront recyclées, il faut aller plus loin et tenter de s’insérer dans un cycle déjà en cours, en laissant le moins de traces possible.

La collection Jello va plus loin dans l’analyse de la chaîne industrielle, et propose des pièces uniques fabriquées avec des techniques de production de masse. Comment vous est venue l’idée de mélanger les deux approches ?

Marco Campardo : J’étais à table lorsque je me suis rendu compte que la forme du beurre était dictée par son emballage… Cela m’a donné envie de travailler autour du moule, car il contient en creux la forme d’un objet que l’on s’apprête à reproduire, souvent à grande échelle. La collection Butter (beurre), éditée en 2020, combine les techniques du design industriel et de l’artisanat, sous l’influence des théories du designer Enzo Mari. J’ai poussé ces recherches avec la présentation du mobilier Jello lors du Salon du Meuble de 2022. Les moules sont faits avec du carton, plutôt que du silicone ou du plâtre. Ils s’auto-détruisent après chaque utilisation. Chaque objet est ainsi à la fois inscrit dans une série, et à la fois unique.

Chaise issue de la collection Bullnose, édition spéciale en érable (2020)
Chaise issue de la collection Bullnose, édition spéciale en érable (2020) Marco Campardo

Butter est une commande du musée MACRO, le musée d’art contemporain de Rome. Vous flirtez souvent avec le monde de l’art mais refusez que l’on vous définisse comme un artiste, pourquoi ?

Marco Campardo : Je suis très attaché à la notion de fonctionnalité. Je m’exprime dans un espace encadré par des contraintes, et si mon cheminement me pousse souvent à questionner la définition et les méthodes employées par l’industrie du design, je tiens à rester à l’intérieur de ce monde. L’important pour moi est d’être curieux. Un aspect que je dois à mes études de culture du design en Italie, où l’on va au-delà la forme et de la technique, pour questionner leur raison d’être.