Façonné par les événements du XXe siècle, Ludwig Mies van der Rohe a occupé un rôle proéminent dans la culture architecturale allemande jusqu’à la fin des années 30, pour en adopter un autre à Chicago après 1938.
Souvent associé à la célèbre phrase « Less is more », cette figure incontournable du design du XXe siècle n’était pourtant pas un grand amateur des déclarations publiques. Et pour cause, « ses réalisations étaient des réponses clairement formulées aux défis architecturaux du XXe siècle », souligne Claire Zimmerman, autrice de « Mies Van Der Rohe » aux éditions Taschen.
Fils d’un tailleur de pierre d’Aix-la-Chapelle, ayant grandi loin du centre cosmopolite de Berlin, il a su tracer son chemin, sans richesse ni éducation élitiste. En revanche, dès son arrivée à Chicago, « Mies était une éminence grise réputée comme l’un des architectes modernes les plus talentueux d’Europe et un expert de la culture européenne progressiste ».
Aix-la-Chapelle, ancien siège impérial de Charlemagne, avec sa cathédrale du VIIIème siècle, aura insufflé à l’architecte une croyance « en une architecture de longue durée, où la forme du bâtiment signifiait une fonction symbolique durable, et non une fonction programmatique à court terme ». A Berlin, il poursuit son éducation, au milieu d’un réveil artistique déclenché par le nouveau siècle. Les précédents historiques sont alors rejetés au profit du « nouveau », souvent considéré comme l’esthétisation de la vie quotidienne.
Ludwig Mies n’a que 20 ans quand il reçoit sa première commande indépendante en 1906, une maison pour le professeur de philosophie Alois Riehl et sa femme Sophie dans la banlieue de Potsdam à Neubabelsberg. Au cours du projet, Mies se lie d’amitié avec les grands noms de l’intelligentsia berlinoise, comme Heinrich Wölfflin, père théorique du modernisme.
Le succès de la commande, achevée en 1907, ouvre la voie à l’entrée de Ludwig Mies en 1908 dans l’atelier de Peter Behrens, alors considéré comme l’un des bureaux d’architecture les plus importants d’Europe.
À cette époque, Ludwig Mies a été exposé pour la première fois au travail de Frank Lloyd Wright, peut-être lors d’une conférence en 1910 à Berlin, mais plus probablement dans le folio de la monographie Wasmuth de Wright de 1911.
Autre influence importante sur Mies, les écrits de l’architecte néerlandais Hendrik Petrus Berlage, disciple de Nietzsche, qui considérait l’architecture comme un processus organique de découverte rationnelle : une recherche d’absolu rationnel comme vérité essentielle.
Ludwig Mies lui-même a déclaré que « Behrens m’a appris la Grande Forme, Berlage la structure ».
En 1912, Mies lance sa propre entreprise à Berlin. Il a été aidé en cela par son mariage en 1913 avec Ada Bruhn. En tant que fille d’un fabricant aisé, Ada avait une petite fortune personnelle qui a protégé la famille Mies de l’insécurité financière dans les premières années de la pratique de Ludwig Mies.
Tout en poursuivant ses relations avec les cercles artistiques de Berlin, Mies a continué à construire des maisons privées pour des clients aisés, principalement dans les banlieues les plus huppées de Berlin et de Potsdam. Cependant, ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle Ludwig Mies a servi de 1915 à 1918, qu’il a commencé à développer un nouveau langage de l’architecture.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Berlin est une ville révolutionnaire, engloutie par des changements radicaux aussi bien dans les domaines politique et artistique. Elle devient l’un des centres de l’avant-garde européenne, où une scène artistique de plus en plus internationale vise à créer une nouvelle société et un nouveau citoyen. C’est dans ce contexte qu’il fait la rencontre d’un certain Walter Gropius.
Il rejoint également la revue d’avant-garde G : Zeitschrift für elementare Gestaltung. Les membres du cercle G élargi comprenaient notamment Man Ray. En 1924, Mies a été invité à rejoindre le Werkbund allemand, l’une des organisations les plus puissantes de la culture allemande moderne.
C’est aussi dans les années 20 qu’il prend le nom de « Ludwig Mies van der Rohe ». Celui-ci donne lieu à un jeu de mot entre « mies » (mauvais ou misérable en français) et « van der Rohe », une adaptation du nom de jeune fille de sa mère, où « Rohe », évoque le mot allemand « roh », qui signifie « pur ».
Entre 1921 et 1924, il conçoit cinq projets, dont aucun n’a été réalisé. La postérité s’en est souvenue comme des fameux « Cinq Projets », car ils ont catapulté Ludwig Mies van der Rohe au premier rang de l’avant-garde. Parmi eux, un gratte-ciel de verre pour un chantier de la Friedrichstrasse à Berlin-Mitte. Le bâtiment fait la part belle au béton, au fer, et au verre.
L’année 1926 marque un tournant dans sa carrière. À 40 ans, il assume la vice-présidence du Werkbund allemand, une association d’artistes et architectes, poste qu’il occupera jusqu’en 1932. Il est ainsi une figure centrale de l’architecture allemande et du mouvement naissant du modernisme international alors en plein essor parmi les intellectuels européens. En même temps, il est chargé de diriger « The Dwelling », une grande exposition du Werkbund qui doit avoir lieu dans la ville de Stuttgart en 1927. L’exposition marque sa première collaboration avec Lilly Reich, qui sera sa compagne et collaboratrice jusqu’en 1938.
Il signe à cette époque la célèbre Glass Room au salon Materials dans le centre-ville de Stuttgart, la Villa Tugendha à Brno, mais aussi le Pavillon allemand de Barcelone avec Lilly Reich en 1929.
C’est à cette occasion qu’il dessine chaise et l’ottoman Barcelona, conçus pour offrir au roi et à la reine d’Espagne un lieu de repos (ils ne se sont en fait jamais assis). Le pavillon de Barcelone et les chaises qu’il contenait sont universellement reconnus comme des jalons du design moderne.
Les années qui suivirent immédiatement l’exposition de Stuttgart furent parmi les plus productives de Mies van der Rohe et influencèrent considérablement les générations futures. En 1930, Mies s’est vu offrir la direction du Dessau Bauhaus en difficulté en 1930, et succède à l’architecte suisse Hannes Meyer. En 1931, après que le NSDAP a remporté les élections locales, le nouveau conseil municipal ferme l’école. Mies et ses étudiants se sont réfugiés dans un ancien bâtiment d’usine à Berlin-Steglitz. De là, le Bauhaus a continué à fonctionner jusqu’à sa dissolution volontaire en 1933 à la suite de l’arrivée au pouvoir des Nazis.
Cette même année, de nombreux architectes prennent conscience de leur statut précaire dans l’Allemagne nazie et beaucoup émigrent. Mies van der Rohe reste jusqu’en 1938, alors que de plus en plus de restrictions lui étaient imposées et que sa propre sécurité était menacée.
En 1938, il accepte la direction de l’Armor Institute of Technology de Chicago, rebaptisé plus tard l’Illinois Institute of Technology (IIT). Sa nomination à la tête du département d’architecture a nécessité la conception d’un programme d’études et d’un campus nouvellement agrandi.
Pendant son séjour à l’IIT, il se lie d’amitié et a encadré une jeune Florence Knoll. Celle-ci a toujours considéré Mies van der Rohe comme son instructeur le plus influent. En 1948, Mies van der Rohe accorde à Knoll les droits exclusifs pour la production de ses meubles, y compris la collection Barcelona, la chaise Brno et la série MR.
Les progrès technologiques de l’industrie du bâtiment après la Seconde Guerre mondiale, associés à un volume accru de commandes, ont abouti à la construction en acier à une échelle sans précédent. De plus, l’augmentation des commandes d’immeubles tout en hauteur a ramené l’architecte à des thèmes qui l’avaient occupé exclusivement sur papier pendant ses années allemandes, dans une série de conceptions de gratte-ciel non construits de 1921 à 1929. En Amérique, ces notes schématiques et abstraites étaient finalement transformées en objets solides.
Grand nom de l’architecture du XXe siècle, Mies van der Rohe continue d’être, depuis sa disparition en 1969, une référence et une inspiration. Ainsi, Virgil Abloh, regretté directeur artistique des collections homme de la maison Louis Vuitton, grand amateur de son travail (et ancien étudiant de l’ITT) déclarait « Mies est mon autre Michael Jordan ».
> Pour en savoir plus, lire « Mies Van Der Rohe » de Claire Zimmerman aux éditions Taschen