« Ici, je peux mieux m’exprimer » confesse Indra Carrillo Perea. Il a gagné, au 17 rue Rodier, la première étoile récompensant son travail aux fourneaux de La Condesa. Comme un porte-bonheur, c’est au numéro 13 de la même rue qu’il a soufflé la cinquième bougie de sa table. Là, le chef mexicain écrira la suite de l’histoire de son restaurant, mis en scène par l’architecte Camille Flammarion qui en avait déjà signé le premier décor.
Acte 2 pour La Condesa
La paire est complice, cela se voit et s’entend. Indra finit les phrases de Camille, Camille finit les phrases d’Indra. Ils s’appellent par leurs prénoms, se tutoient et, avantage d’une relation longue, ont envisagé ce restaurant comme une version améliorée et réfléchie, presque intellectualisée, de leur première collaboration.
Avoir la chance de réinventer un établissement sans en changer l’équipe est rare : La Condesa illustre les opportunités d’un tel exercice. Tout ce qui s’y faisait de bien se fait en mieux au 13 rue Rodier. La cuisine, bien plus spacieuse, accueille désormais un atelier dédié au pain et un autre aux chocolats. La salle se divise en trois atmosphères : la table du chef, parée d’Onyx, face à la cuisine vitrée, la salle noisette et, en bout de course, la salle blanche, intimiste grâce à un rideau que l’on peut tirer, où prend place la cave.
Parce qu’il vient de loin
Les éléments dont le chef Carrillo tire le plus de fierté sont pour certains nés dans son esprit il y a plus de trois ans ! Le chariot de service et le design asymétrique des tables sont en effet le fruit d’une réflexion commune au chef et à l’architecte. « Confier à Camille la réalisation de La Condesa 2 était une évidence. Nous sommes toujours restés en contact depuis l’ouverture de la première adresse que nous ne cessions de faire évoluer. C’est pourquoi ce nouveau lieu incarne à mes yeux l’aboutissement d’un long chemin. »
Né à Mexico, dans le quartier de La Condesa, le chef se « nourrit » pour la première fois en Inde et aux Etats-Unis. Son éveil technique prend racine en France, à Lyon, où il décroche, à l’Institut Paul Bocuse, ses premiers diplômes. Michel Rostang, Yannick Alléno, Pascal Barbot en France, Toru Okuda (Gonza Kojyu à Tokyo) et Yoshihiro Murata (Kikunoi Honten à Kyoto) au Japon, mais aussi René Redzepi, le chef du fameux Noma à Copenhague, sont autant de grands noms qui jalonnent la suite de sa carrière.
2017 résonne en lui comme « le bon moment ». Il installe donc ses fourneaux rue Rodier et donne à Camille Flammarion son premier exercice dans l’univers de la restauration. La partition est célébrée de toutes parts : La Condesa décroche une étoile au guide Michelin en 2019.
Plus qu’un renouveau, un épanouissement
La Condesa, dans sa version de 2022, ne rompt pas avec son héritage. En cuisine comme en salle, « tout n’est qu’évolution ».
La carte conserve ses codes : un menu dégustation en six temps aussi graphique que savoureux, dont les inspirations sont principalement hexagonales mais également teintées d’ailleurs. Elle prolonge le plaisir en proposant un nouveau menu en huit temps, plus exigeant, et une version simplifiée pour le midi afin de permettre aux curieux de s’introduire à l’univers du chef. Les mets s’autorisent en revanche le grand écart : « ici, notre proposition va beaucoup plus loin. »
Même topo pour le décor qui duplique l’esprit du restaurant originel en l’amenant vers des horizons plus ambitieux : « Nous avons élargi notre gamme de couleurs et de matières afin de donner au décor une certaine maturité, une nouvelle élégance. » Ainsi, Camille Flammarion a remis en scène les teintes verdoyantes chères au chef qu’elle a mariées à du noyer très chic et de l’onyx translucide. Celui-ci habille l’espace de la table du chef, les vasques des commodités, double les plateaux de services et s’illumine, aux murs, sous forme d’appliques.
Le sur-mesure avant tout
« Ce projet est né d’une vision intégrale : je cherche à proposer un voyage complet » expose Indra Carrillo Perea. D’un bol façonné à la main en Nouvelle-Zélande à un récipient expérimental mettant en scène un mets fumant non identifié, en passant par un verre à vin soufflé à la bouche au Japon et à l’ambiance musicale du restaurant, rien n’a été laissé au hasard. Chaque élément tisse un lien avec le suivant.
Prenons par l’exemple des tables du restaurant. Toutes identiques, s’échappant de l’éternelle forme carrée ou rectangulaire, elles sont le fruit d’une longue réflexion. « J’aime tout ce qui est modulaire, explique Camille Flammarion, Indra, quant à lui, est un grand amateur de surprises. Alors, déjà dans l’ancien restaurant, nous imaginions ces futures tables afin de permettre toutes les mises en place. »
Adaptables en duo ou en grand banquet, la surprise chère au chef ne saute pas aux yeux d’emblée. Pourtant, on la comprend dès le service du second plat : notre hôte nous propose d’ouvrir un petit tiroir dans lequel se cache nos nouveaux couverts !
Cet astucieux rangement se dissimule quelques fois dans le restaurant : dans un mur, sous la forme d’une tablette facilitant le service dans la salle blanche ou sur le chariot roulant qui balade les couverts, les digestifs et accompagnent certains plats. Celui-ci est d’ailleurs le fruit d’une réflexion majeure impulsée par le chef qui souhaitait, pour La Condesa 2, faciliter au maximum le voyage de ses clients tout comme celui de son équipe en salle.
La cuisine s’adapte elle-aussi à cette notion de sur-mesure, promettant aux habitués des twists inédits. Quant au menu commun à tous, il semble écrit pour surprendre chacun des cinq sens. Les yeux se régalent en Technicolor. Le nez s’émoustille d’une fumée parfumée. Le toucher s’éveille au contact des aspérités des matières des arts de la table. L’ouïe est bercée au rythme des playlists pensées par le chef. Alors que le goût, doit-on le préciser, emprunte un chemin inédit, bordé de jeux de matières et de températures.
> La Condesa. 13, rue Rodier, 75009 Paris. Réservations.