L’appartement créatif du tandem de studio ODA

Studio de design, d’architecture intérieure, de scénographie, ODA revendique sa pluridisciplinarité. Ses fondateurs, Ève Ducroq et Arnaud Dollinger, mettent un point d’honneur à s’émanciper de l’idée d’avoir un style. Leur écriture donne naissance à des espaces remarquables de références et de liberté, comme ici, dans cet appartement du VIe arrondissement parisien.

En couple à la ville comme à la scène, Ève Ducroq et Arnaud Dollinger, fondateurs du studio Objets D’Affection (ODA), pourraient incarner à eux seuls un mouvement décoratif particulier. Motivés par la quête d’une beauté formelle et non par la volonté de plaire au plus grand nombre, ils se moquent des modes.


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Un intérieur freestyle

Cette singularité, ils la cultivent. Tout commence par la recherche de pièces fortes, qu’elles soient signées ou pas. Le parti pris est souvent osé, mais produit un style unique attirant la curiosité de nombreux passants qui franchissent la porte de leur showroom dans le Marais.

À la tête du studio ODA, Ève Ducroq et Arnaud Dollinger sont à la fois décorateurs, ensembliers, chercheurs de pièces rares…
À la tête du studio ODA, Ève Ducroq et Arnaud Dollinger sont à la fois décorateurs, ensembliers, chercheurs de pièces rares… Cécile Perrinet-Lhermitte

De cette liberté émergent des intérieurs relevant plus de l’art scénique que de la décoration. Parmi leurs nombreuses installations, souvenons-nous de celle de l’hiver 2022 intitulée « Suite privée de Mr. K », plongeant le spectateur dans l’univers d’un personnage imaginaire.

Dans l’espace de travail traité en monochrome orange avec la teinte MC68 Kyoto et plinthes soulignées du noir Rue Jacob (Mériguet-Carrère), bureau vintage des années 50. Moquette Décorasol, lampe Pipistrello, de Gae Aulenti (Martinelli Luce).
Dans l’espace de travail traité en monochrome orange avec la teinte MC68 Kyoto et plinthes soulignées du noir Rue Jacob (Mériguet-Carrère), bureau vintage des années 50. Moquette Décorasol, lampe Pipistrello, de Gae Aulenti (Martinelli Luce). Cécile Perrinet-Lhermitte

De la fiction naissaient pourtant des émotions… C’est le cas pour ce pied-à-terre parisien dont la propriétaire vit entre New York et la capitale. Elle a laissé carte blanche au couple. Ce dernier commence toujours par s’imprégner des lieux pour y raconter une histoire. Jamais banale. « Nous aimons orienter nos clients vers des choix auxquels ils n’auraient pas forcément pensé. »

L’entrée arbore une couleur MC103 Régate (Mériguet-Carrère).
L’entrée arbore une couleur MC103 Régate (Mériguet-Carrère). Cécile Perrinet-Lhermitte

Ici, le point de départ est le VIe arrondissement, « l’un des plus jolis de Paris », selon Ève. Le travail se poursuit par une réflexion sur la composition de l’espace, la recherche et l’agencement du mobilier.

Iconique ? Certainement pas. « Nous aimons nous exprimer loin des tendances », précise la décoratrice. Avant tout, les meubles doivent résonner, dégager une présence. Les priorités sont ailleurs.

Dans le séjour, le contraste fort entre le vert MC42 Albers (Mériguet-Carrère) des murs et les motifs léopard blanc de la moquette (Décorasol) sert d’écrin au mobilier vintage. Canapé modulaire italien années 70. Lampe Clan, signée Studio 6G (Guzzini, 1960 1970). Table basse ronde chinée. Au mur, photo Rikishi 3 de Charles Fréger (2002).
Dans le séjour, le contraste fort entre le vert MC42 Albers (Mériguet-Carrère) des murs et les motifs léopard blanc de la moquette (Décorasol) sert d’écrin au mobilier vintage. Canapé modulaire italien années 70. Lampe Clan, signée Studio 6G (Guzzini, 1960 1970). Table basse ronde chinée. Au mur, photo Rikishi 3 de Charles Fréger (2002). Cécile Perrinet-Lhermitte

Liberté créative

Dès l’arrivée dans les lieux, on devine que l’adresse n’est pas celle de Madame Toutlemonde. Un lavabo ton sur ton a pris place dans l’entrée peinte d’un bleu volontairement sombre (MC103 Régate, de Mériguet-Carrère). Si l’on se pose la question : « Pourquoi une vasque placée là ? », ODA pense vide-poche. Et tout devient évident.

Table années 70, en plastique et métal, achetée en Italie et chaises de salle à manger d’Adalberto Caraceni (Tagliabue di Cascina Armata, 1970). Service à orangeade vintage en céramique.
Table années 70, en plastique et métal, achetée en Italie et chaises de salle à manger d’Adalberto Caraceni (Tagliabue di Cascina Armata, 1970). Service à orangeade vintage en céramique. Cécile Perrinet-Lhermitte

Pourquoi contraindre un objet à n’avoir qu’une seule fonction ? L’oeuvre religieuse accrochée au-dessus confère à la scène un sens métaphorique, celle d’un vestibule d’église avec son bénitier. Le couloir ouvre sur une distribution en étoile (un classique haussmannien) : quatre pièces principales (ou chapelles) différentes et pourtant cohérentes. C’est de cette dualité maîtrisée dont peuvent se prévaloir les décorateurs.

Dans la cuisine de cet appartement, lampe à poser et tabouret chinés.
Dans la cuisine de cet appartement, lampe à poser et tabouret chinés. Cécile Perrinet-Lhermitte

Chaque espace se distingue par sa tonalité soutenue. Si certains projets jouent souvent la retenue, ou restent contenus, ici la composition explose, mais de manière homogène.

Dans la cuisine très graphique, le mobilier au quadrillage noir rappelle la collection « Quaderna » éditée par Zanotta. Une référence au groupe d’architectes Superstudio formé à Florence dans les années 60.
Dans la cuisine très graphique, le mobilier au quadrillage noir rappelle la collection « Quaderna » éditée par Zanotta. Une référence au groupe d’architectes Superstudio formé à Florence dans les années 60. Cécile Perrinet-Lhermitte

Le mobilier du salon s’accorde au vert des murs (peinture MC42 Albers, de Mériguet-Carrère) ainsi qu’à la moquette aux motifs léopard blanc (Décorasol). ODA calme le jeu en optant pour des rideaux de lin clair. De cet ajustement naissent lumière et légèreté. Le bureau présente un orange monochrome.

Les murs de la chambre sont habillés du papier peint Prélude 06 (Mériguet-Carrère).
Les murs de la chambre sont habillés du papier peint Prélude 06 (Mériguet-Carrère). Cécile Perrinet-Lhermitte

Dans l’ensemble, les pièces vintage côtoient signatures et objets chinés et créent un décor que l’on dirait tout droit sorti d’un film. Ève avoue : « Nous sommes fortement influencés par le cinéma, mais aussi par la musique, et notre univers est hautement sensoriel, en permanence nourri de références, souvent cultes. »

Coiffeuse de Luigi Massoni (Poltrona Frau, 1970). Dans l’alcôve, applique italienne des années 50 en verre et laiton. Suspension 70’s de Gaetano Sciolari.
Coiffeuse de Luigi Massoni (Poltrona Frau, 1970). Dans l’alcôve, applique italienne des années 50 en verre et laiton. Suspension 70’s de Gaetano Sciolari. Cécile Perrinet-Lhermitte

La cuisine, graphique, rend ainsi hommage à Superstudio, le groupe d’architectes d’avant-garde formé à Florence en 1966, revendiquant le design radical. La pièce symbolique de ce mouvement étant la table Quaderna, ornée d’un quadrillage noir, toujours éditée par Zanotta.

La chambre arbore des tonalités plus douces sans pour autant être traitée avec platitude. Petit boudoir poudré, son rôle d’espace de repos ne s’en trouve pas altéré par une extravagance absolue. Au risque tentant du « projet musée », le studio ODA n’oublie jamais l’usage premier d’un lieu et fait en sorte que les intentions artistiques ne l’entravent pas.

Ève Ducroq et Arnaud Dollinger signent un juste équilibre… de folie décorative. Des intérieurs extraordinaires qui n’empêchent pas de mener une vie ordinaire.


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