Comment être labellisé France Design Week (FDW) ?
Il suffit de s’inscrire et de s’engager à voir le design comme un vecteur de développement économique, social, culturel et environnemental. Ce sont les acteurs régionaux eux-mêmes qui constituent le comité de pilotage ; il n’y a pas de curation si ce n’est celle de respecter notre charte qui prône l’égalité entre les membres, la mutualisation des moyens, la collaboration…
Mutualisation, collaboration…Vous bousculez les habitudes !
La France aime les pyramides, les sommets, c’est vrai. L’APCI était une pyramide, à l’image de beaucoup d’autres institutions. Quand j’en ai pris la présidence, il y a deux ans, je suis arrivé avec cette nouvelle idée : l’APCI n’est pas un organisme de labellisation, c’est un animateur de réseaux. Or, dans un réseau, toutes les énergies se valent. La grande leçon de cette transformation, c’est que l’on constate que les meilleurs promoteurs du design, ce sont les acteurs de terrain. Designers indépendants, écoles, free-lance… exprimez-vous !
Pourquoi faut-il soutenir le design ?
Parce que là est la culture qui va nous permettre de répondre aux défis du XXIe siècle.
« 350 événements pour la France Design Week contre 250 l’an dernier. »
Vous voulez dire que le design ne se limite pas à la création industrielle ?
Oui, le design, c’est infiniment plus que ça, parce qu’il s’intéresse au lien. C’est le design de la relation, de la situation, des émotions, du vivre ensemble, donc de la complexité. Le design révèle ce tissu complexe, participe à le tisser et à l’améliorer. L’améliorer, c’est vraiment l’enjeu.
L’accueil pour la France Design Week a-t-il été enthousiaste ?
Très ! Qui n’est pas prêt pour ça, à part ceux qui aiment le pouvoir ? Il faut se le rappeler : la FDW est une recommandation des Assises du design. Ça s’est monté le 11 décembre 2019. Malgré la pandémie, nous en sommes à 350 événements contre 250 l’an dernier.
De fonds publics ?
L’État fait preuve de bonne volonté, mais il y a tellement de retard… Les assises sont un signe d’espoir. Le Conseil national du design, créé le 6 septembre à Bercy, au moment du lancement de la nouvelle édition de la FDW, aussi. Mais il faut aller chercher l’argent ailleurs. On attend trop de l’État en France.
« Ma véritable vocation, c’est de raconter des histoires, en pédagogue »
Comment un scientifique devient-il directeur d’école de design ?
Avant tout, je suis un animal politique. Notre quotidien dépend du politique, on l’a trop oublié. Quand je m’intéresse aux mathématiques, c’est parce que je m’intéresse à l’ordre du monde ; à l’informatique, parce qu’elle permet de créer de l’ordre dans le monde ; à l’intelligence artificielle (IA), pour comprendre comment fonctionne un cerveau. Ma véritable vocation, c’est de raconter des histoires, en pédagogue. Le design est arrivé parce que, en 1998, on m’a demandé de suivre le projet de diplôme d’un étudiant qui avait inventé une tablette tactile destinée aux enfants, pour remplacer le cartable. Le jury a dit : « Ça ne marchera jamais. » (Rires.) On s’est battus, il a eu son diplôme. C’est là qu’on m’a demandé de m’occuper du multimédia, à l’école de design Strate… J’en ai pris la direction en 2007 et créé un département « système et objets interactifs », alors que tout le monde se fichait alors de l’IA…
La clé du changement, c’est donc selon vous l’éducation ?
L’éducation est un moyen, mais la solution c’est la culture, c’est-à-dire le savoir et le lien entre les savoirs et le monde. La vraie qualité d’un être humain, d’un professionnel, d’un designer, c’est sa culture. Si l’on n’a pas d’expertise, on est simplement posté là, prolétaire au sens littéral du terme. L’éducation, dans la mesure où elle est productrice de cette culture, est déterminante. La question est : quelle éducation ?
Et comment change-t-on cela ?
On le change justement avec les écoles de design, qui sont pluridisciplinaires, collaboratives, où l’on s’attache à résoudre les petits et les grands problèmes des gens. Imaginez une éducation, du primaire à l’université, qui serait connectée au monde, dans un projet concret et prospectif… En gros, si on pouvait généraliser Montessori, ça se passerait infiniment mieux.
« Le design, ça sert à produire du lien »
C’est ce que vous faites avec CY, la nouvelle école que vous créez à Cergy ?
On sort du dogme cartésien qui sépare le corps et l’esprit. Ce qui a une conséquence énorme puisque, selon ce dogme, l’homme et la nature sont distincts et la nature est à la disposition de l’homme. Avec la base-line de cette école – « pour le vivant » –, on affirme qu’on est partie prenante de cette nature. Le leitmotiv est « de la matière à la décision ». La planète n’est plus assez résiliente pour supporter les conséquences de nos mauvaises décisions.
Comment cette vision du design peut-elle être véhiculée par la FDW ?
Quand ça rayonne, ça crée des événements, ça attire des gens, lesquels se frottent aux concepts, aux productions, à la beauté, à d’autres gens, et tout cela crée des opportunités ! Un tas de personnes ont trouvé des projets pendant la dernière FDW. On veut favoriser les frottements de toutes les populations. Car le design, ça sert à produire du lien.
Qui seront les designers de ce siècle ?
Ce seront des designers politiques, au sens éthique, celui de la responsabilité et de l’engagement. Ils réuniront dans la même tête le savoir et la complexité d’un sciencepiste (élève de sciences politiques, NDLR), les techniques d’un artiste et la capacité d’un ingénieur à résoudre des problèmes. On peut être politique à tout niveau. Car tout est relié. J’espère que ce seront des designers de cet acabit. Ce sont l’homme et la femme de demain.