Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir la Mushashino Art University ?
Nicolas Roche : Nous avons d’abord parlé avec Go Noda, notre principal franchisé au Japon, ainsi qu’avec la journaliste Ryuko Kida (Elle Decor Japan Brand Director) qui nous ont conseillé cette école comme la plus en pointe dans le design nippon.
Yamanaka Kazuhiro, professeur superviseur au MAU a insisté sur la fonctionnalité et la créativité, était-ce là les objectifs principaux du concours ?
Pas seulement… La créativité oui, mais aussi la faisabilité. Fonctionnalité oblige, les projets ne devaient pas être des élucubrations. Les produits distingués par le jury étant voués à entrer dans notre catalogue, ils doivent pouvoir être ensuite produits en série. L’éco-conception est également une dimension très importante. Il importe aussi de bien comprendre les valeurs de la marque Roche-Bobois. J’ai préalablement passé une journée entière avec les étudiants pour leur parler de notre identité d’éditeur français travaillant avec le monde entier.
Ce concours a-t-il marqué la rencontre de deux esprits, l’un français, l’autre japonais ?
Ce qui me frappe beaucoup plus, c’est que m’adressant à des étudiants, je ne m’attendais pas à un tel esprit de synthèse. Ils étaient complètement libres, n’avaient pas un thème précis à développer. On ne leur demandait pas non plus de dessiner un objet qui ait l’air français… Nous souhaitions obtenir quelque chose d’esprit japonais qui puisse influencer nos produits. Il importait de traduire de façon contemporaine la confrontation des matériaux traditionnels avec de nouvelles techniques et les nouveaux matériaux à des techniques traditionnelles.
D’où vient l’esprit de synthèse des étudiants japonais ?
Cela tient d’abord au profil de leur université et de leurs professeurs. Ces étudiants sont plus qu’ailleurs portés sur l’expérimentation matérielle, et ce de façon très poussée. Nous avons choisi cinq lauréats dont les projets restent à prototyper. Ils seront ensuite destinés à être présentés à notre congrès où, s’ils recueillent l’assentiment de plus de 10% de notre réseau de franchisés, ils seront produits – je l’espère – dès la rentrée de septembre.
« Intégrer Roche Bobois dans la communauté du design »
Présentez-nous les heureux lauréats…
Sanako Osawa a utilisé des bandes de ponçage pour concevoir une étagère et une table basse. Elle a placé verticalement ces bandes entre des étagères de Plexiglas. C’est comme si une suite de rideaux se suivaient en un mouvement ondulé d’une étagère à l’autre.
Pour sa table à repas Unfair assortie d’une chaise, Kentaro Takagi a travaillé une technique de bois imprégné. Il a répandu une encre bleue sur du pin massif. Il en a strié perpendiculairement la surface au fil des micro-striures du bois. Le bois a fini par prendre un effet de jean « stone washed » avec de grands fantômes d’encre qui apparaissent et disparaissent en fonction des variations suivant l’épaisseur du bois. Cela a fasciné tout le jury. Ce jeune designer a fait cela tout seul dans son garage et je peux vous dire que ce n’est pas évident à reproduire…
Avec Flat Marble, Soichiro Tanaka a travaillé le marbre de sa console comme un matériau aussi mince qu’une feuille, avec une différence dans le traitement de la surface entre intérieur et extérieur. Au final, il a réalisé un produit minimaliste et contemporain, entre petite table et porte-revues.
Ryohei Totsuka a conçu Arch, une table dont le plateau de verre repose sur trois arceaux de bambou. C’est assez japonisant pour le coup, avec cette nouvelle façon d’utiliser un matériau ancien. Ce décloisonnement pour moi, c’est très japonais. Tout cela est empreint de beaucoup de simplicité et de de légèreté. Pas de matériaux de synthèse, rien de compliqué, on va droit au but. C’est toujours réalisé avec une certaine économie de moyens.
Il a été attribué une mention spéciale, hors de tout critère, à Shanshan Liu, étudiant d’origine chinoise qui a accompli un incroyable travail. C’est une prouesse qu’il fallait récompenser. Sur un carré de tôle d’1,5 m de côté et de 5 millimètres d’épaisseur, il a fait un schéma de découpe et de pliage qui permet de fabriquer une table et deux tabourets. Il y a juste à ajouter une dalle de verre en guise de plateau…
En quoi cette expérience est-elle différente du travail avec vos designers habituels ?
D’abord, on ne se voit pas aussi longtemps… Ce n’est pas comparable avec une année et demi de rendez-vous avec un créateur. Il s’agit plutôt de mettre aux designers le pied à l’étrier, de les placer dans les conditions d’une collaboration avec une marque et leur faire gagner un peu d’argent. Mais cette collaboration est enrichissante pour nous aussi !
En quoi cet échange éditeur-étudiants vous enrichit-il ?
En faisant parler les étudiants, en mettant à jour ce sur quoi leur travail repose. Nous venons chercher de l’inspiration. Nous réalisons un produit qui va être vendu. C’est aussi une manière d’intégrer Roche Bobois dans la communauté design des pays où le concours a lieu.
Aux Etats-Unis, Roche Bobois est perçu comme représentant le « French art de vivre ». Est-ce aussi le cas au Japon ?
Non. Dans ce pays, nous n’avons qu’un franchisé, Monsieur Go Noda, avec deux magasins. C’est plus confidentiel. Notre franchisé, sélectionne lui-même dans notre catalogue ce qu’il trouve intéressant à présenter. Il a par exemple été emballé par la collection « Nativ » de Raphael Navot. Notre franchisé est lui-même éditeur avec sa marque Area. Il a son goût et connaît parfaitement le marché nippon. Nous lui suggérons aussi ce que nous souhaitons montrer. Tandis qu’aux Etats-Unis, ce qui est apprécié, c’est le style, les couleurs et les collaborations avec les designers de mode.