C’est sur les hauteurs de Gordes que Jérémie du Chaffaut se dévoile « pour la première fois depuis longtemps » comme architecte d’intérieur. Robin Michel et Thibaud Elzière, créateurs du concept Iconic House, chimère à mi-chemin entre la villa de luxe à louer et l’hôtel cinq étoiles, lui ont confié la réalisation de leur dernière adresse.
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« Nous cherchions un architecte de la région et le portfolio de Jérémie nous a tout de suite mis d’accord », explique Robin Michel, à la manoeuvre artistique du projet. « J’ai été surpris de leur appel, mais forcément ravi », sourit le designer, plus habitué à travailler depuis trois ans en solo dans son atelier.
Jérémie du Chaffaut vit entre Paris — « c’est notre voisin ! » s’amusent les entrepreneurs — et le village de Sainte-Baume où il a acquis une maison à l’orée de la pandémie. Le quarantenaire est issu d’une longue lignée d’artisans et de paysans dont les origines remontent à 1630 et au village de… Chaffaut ! Ce qui le raccroche peut-être aujourd’hui inconsciemment à cette terre, la Provence, si précieuse à ses yeux.
Du nom de ses meubles aux libellés de son site, celui où il présente et propose à l’achat les pièces de sa marque, Midi, logiquement nommée, le Provençal prévaut. « Je n’en parle pas un mot, s’amuse-t-il, mais je trouve cela important d’essayer de sauvegarder le patrimoine de mes ancêtres. 200 000 enfants apprennent l’idiome à l’école chaque année, c’est un bon début. »
Alors, pour mettre en avant les traditions et l’esthétique d’un territoire qu’il replace « entre le Rhône et qui s’arrête avant Nice — car Nice c’est l’Italie », Jérémie du Chaffaut alimente depuis quatre ans une collection de design et de décoration en édition ultra limitée. Rien à voir avec une démarchage basée sur la rareté : ses mini productions découlent du soin qu’apportent les artisans locaux à leur besogne. Ainsi, « elles ont un coût », avoue volontiers le designer, qui souligne ensuite que le système qu’il a mis en place de production à la commande est un acte militant en faveur du non-gaspillage.
« Écolo ? Je ne sais pas si je le suis dans mes designs. On a même refusé le label Care à mes collections pour Midi car elles ne sont pas produites à partir de matériaux recyclés. Je n’utilise pourtant que des matières naturelles, dans le souci du durable et sont réparables à l’infini. Le meilleur déchet c’est de ne pas en produire. »
Les collections Midi sont éclectiques
D’un émail à une chaise inspirée des prie-dieux — « le design ecclésiastique m’éclate » — chaque objet (discrètement) estampillé Midi « raconte une histoire ». Une démarche qui n’a certes rien de rare à notre époque où le storytelling prévaut parfois sur le fond, mais qui n’a pourtant dans la bouche de Jérémie du Chaffaut rien de prédicateur. Non, dans sa collection, on retrouve un radassié (un banc-canapé imaginé pour la sieste), des carreaux de cuve (qui tapissaient naguère l’intérieur des glacières pour en garder le froid) et des jarres à huile dites « conscience » (Counsciènci en V.O.), soit un panel d’usages provençaux aujourd’hui oubliés.
Jérémie du Chaffaut a par exemple eu l’idée de développer ses carreaux de cuves en les découvrant dans l’une des glacières acquises par ses parents pour y adapter leur maison provençale. Les glacières avaient naguère la fonction de récupérer de la glace formée en hiver au haut de la Sainte-Baume, lieu le plus froid de la région, et de la stocker afin d’en faire disposer les hôpitaux et les bars restaurants jusqu’à l’été. Ces énormes cuves aux murs épais faits de pierres et de béton étaient tapissés en intérieur de carreaux de terre cuite efficaces pour isoler de la chaleur.
Le Counsciènci comme son frère le Gargouleto (une gargoulette) sont quant à eux des jarres à la forme consacrée en Provence. L’une, piquée de nombreux anneaux, permettait une fixation solide aux ânes qui les portaient sous la direction des moines qui s’en servaient pour donner aux plus pauvres de quoi boire. L’autre, sculpturale avec sa grande anse, fut souvent représentées dans des œuvres peintes par des artistes dont on connait l’attachement à la Provence (Matisse, Van Gogh, Cézanne).
Jérémie du Chaffaut œuvre pour une Provence moderne
L’esthétique de Midi est en revanche à rebours du pastiche local. Si les couleurs que le designer développe évoque logiquement son terroir de cœur, sa ligne d’assises, nommées d’après ses enfants, conjugue avec simplicité les traditions du tressage locales (elles sont produites par le dernier chaisier de Camargue) et le dessin qu’il a appris lors de son année d’échange universitaire à Copenhague alors qu’il était étudiant à la prestigieuse école Penninghen. « Le design scandinave était complètement occulté par la force d’attraction des Italiens. J’étais en revanche fasciné par l’élégance organique de ce que mes camarades danois produisaient. »
Midi ne découle donc pas d’un style, la marque se créé autour d’un univers. Si ses assises penchent du côté monacal de la force, les tables Ramo et Roucaio sont les héritières d’un art naïf, produites en rocaille (ou « faux bois »), une technique importée par les Italiens du XIXe siècle. « J’aime m’amuser », sourit le designer alors qu’il nous présente la cheminée qu’il a dessiné pour la maison Iconic House de Gordes, un foyer intégré dans un tronc d’arbre factice monumental façonné en rocaille.
C’est peut-être pourquoi il préfère son activité désormais principale, le design d’objet, plutôt que l’architecture d’intérieur, une profession qu’il a développée pendant plus de vingt ans dans le retail pour de grandes marques de luxe. Alors qu’il cherche à meubler la maison qu’il vient d’acquérir pour sa famille à Sainte-Baume, libéré du carcan de l’industrie dans laquelle il œuvrait, il se rend compte qu’il ne trouve pas chaussure à son pied.
« Nous cherchions à nous fournir en meubles localement mais ne trouvions pas de marques qui correspondaient à nos attentes graphiques. » Comme dit l’adage, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Jérémie du Chaffaut part alors à la découverte du territoire provençal et de ses artisans pendant une année avant de lancer Midi.
Jusqu’à Iconic House, il n’avait mis en scène que très peu d’intérieurs. Désormais réconcilié avec l’exercice et grâce à une carte-blanche laissé par le duo fondateur du concept, grandement appréciée, le designer n’exclut pas de retomber dans la marmite. « Pour des projets d’ampleur similaire, précise-t-il, je ne mettrai jamais mon éthique et mes engagements envers la Provence de côté. » Raison pour laquelle il a récemment décliné l’invitation d’une grande marque à imaginer une collection maison…
Midi est néanmoins déjà plébiscité par deux marchés antagonistes : les États-Unis, où les architectes n’hésitent pas à organiser eux-même l’export de pièces du designer qui s’y refuse, et Minorque, où son esthétique coule de source.
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> Le site de Midi, la marque de Jérémie du Chaffaut.