En architecture, certains ont besoin de briller dans la lumière pour s’exprimer. D’autres préfèrent œuvrer dans l’ombre afin de laisser leurs ouvrages parler pour eux. Jean-François Madec serait plutôt de ceux-là. Pas taiseux ni timide, bien au contraire, l’architecte pas encore quadra (il est né en 1983) a le verbe juste et précis lorsqu’il converse sur sa pratique ainsi que sur ses projets.
Une architecture ancrée dans son territoire
On pourrait ainsi y voir une forme d’humilité bien placée chez ce Breton venu un temps à Paris pour suivre ses études supérieures. Passé d’abord par l’école d’architecture de Rennes, il poursuit son cursus à l’ENSA Paris-La Villette, avant de profiter des bienfaits du programme Erasmus. Direction l’Angleterre pour découvrir comment l’on y enseigne l’art de bâtir.« Il s’y construit de très belles choses, souvent à petite échelle. Mais, surtout, l’approche théorique est vraiment d’un haut niveau. Il s’agissait d’un pas de côté très enrichissant pour ma formation », explique-t-il simplement.
De retour en France, et fraîchement diplômé, il multiplie les expériences en agence. D’abord à Paris, notamment à l’Atelier Zündel Cristea, avant de mettre le cap à l’ouest vers… la Bretagne. Là, il va rester durant une dizaine d’années chez Jean Guervilly, à Saint-Brieuc, et suivre le chantier – très long – du Centre des congrès de Rennes.
Puis, en 2018, le jeune architecte, déjà bien aguerri aux différentes modalités du métier, décide de se lancer en solo. « Non pas que je me sois senti frustré en agence, mais je ressentais le besoin d’avoir une approche plus personnelle, plus incarnée de ma discipline », précise Jean-François Madec. Justement, sa Bretagne natale est propice à cette démarche qu’il souhaite avant tout ancrée dans un territoire, à la fois en phase avec les traditions et l’emploi de matériaux régionaux et suffisamment moderne dans la réflexion pour que le projet dégage une certaine atemporalité.
« Je trouve que l’architecture internationale est trop souvent le signe d’une époque, marquée par ses effets de mode. À l’inverse, une stratégie volontairement en prise avec un lieu aide à inscrire une réalisation dans le temps. Cette continuité par la matérialité incite à être plus modeste dans le geste. Ce qui, selon moi, permet de durer », indique-t-il.
Très vite, ce parti pris fait mouche puisque Jean-François Madec est distingué en 2018 par les AJAP (Albums des jeunes architectes et des paysagistes) – concours biennal organisé par le ministère de la Culture – avec une création, assez simple, d’extension en granit et en bois d’un corps de ferme. Ce premier projet d’agence en augure d’autres qui font appel à ce même esprit de sobriété, plutôt en phase avec le monde rural.
Répondant d’abord à des sollicitations de connaissances, il réalise plusieurs habitats privés (comme la maison P, dont les éléments, comme le toit en fibres-ciment, renvoient à l’héritage agricole de la région) quand il ne s’agit pas de sa propre maison-atelier, qu’il installe dans une ancienne habitation de pêcheur. « L’usage de matériaux pauvres n’est pas une contrainte dès lors qu’ils sont ouvragés avec de belles prestations et font sens dans le contexte », souligne Jean-François Madec.
Dans le même temps, durant cette période, l’architecte ne se coupe pas de la recherche en participant à des concours d’idées. « Lorsqu’on sort du cadre d’une agence, explique-t-il, on a forcément besoin de se tester, a fortiori sur des sites radicaux, en proposant des solutions qui le sont tout autant. On est souvent libéré des questions budgétaires et surtout on peut s’échapper de la norme des matériaux, des systèmes techniques nomenclaturés… qui trop fréquemment régissent le monde de la construction. C’est un bon moyen pour repousser les limites de sa réflexion et pour se confronter au regard d’un jury international à l’expertise très variée. »
Ainsi, le jeune praticien va notamment répondre à des appels à projets qui souvent posent des problématiques liées à l’hospitalité. Que ce soit avec un refuge de montagne en Islande, un abri pour randonneurs en Lettonie ou bien encore un lodge devant être installé dans le désert d’Arabie saoudite, à Al-Ula.
« En général, on a carte blanche, mais dans ce dernier cas, la demande était tout de même assez précise. Il fallait concevoir un lieu de villégiature qui ait une relation directe avec l’environnement, le désert rocheux, sans pour autant jouer le mimétisme, tout en s’ouvrant sur le paysage. J’ai imaginé un dispositif qui propose une expérience radicale de l’endroit et qui se matérialise essentiellement par un très grand anneau en pierre. Sa hauteur décroît régulièrement, passant de la palissade protectrice, où se loge discrètement la partie habitée, au muret, typologie plutôt courante dans la région, qui cadre le champ de vision sur le paysage », raconte Jean-François Madec.
Si les concours d’idées ne débouchent pas toujours sur une réalisation, ils permettent en revanche à l’architecte de se constituer un imaginaire de projets à même d’éveiller l’attention de commanditaires sensibles à sa démarche.
Des partenariats internationaux
Une stratégie qui a payé puisque l’agence Madec Architectures est désormais largement sollicitée pour participer à des appels d’offres. « J’ai mis un frein sur ces concours car j’estime qu’il faut laisser la place aux jeunes studios qui ont besoin d’afficher leurs intentions », reconnaît-il.
Depuis peu, l’agence a déménagé dans le sud du Finistère, à Briec, sur les rives de L’Odet, dans une vieille ferme que Madec Architectures s’est évidemment attelé à rénover en apportant des solutions innovantes, mais discrètes.
Jean-François Madec travaille désormais avec deux architectes, mais n’hésite pas à tisser des collaborations avec d’autres confrères de la même envergure, voire à rentrer en partenariat avec des agences internationales, comme c’est le cas aujourd’hui avec AREP : « Cette configuration et cette manière de fonctionner, en panachant la nature et la taille des projets, me conviennent parfaitement. La légèreté de notre structure permet d’être plus souples, plus réactifs aussi dans le contexte actuel », dit-il.
Une tendance au réemploi des matériaux
Madec Architectures a ainsi remporté plusieurs compétitions pour des équipement publics, comme, dans le Finistère, la médiathèque d’Elliant ou, très récemment, la salle de sport du Kelenn, à Carantec, qui deviendra en 2023 une halle polyvalente. « Nous sommes de plus en plus consultés pour des projets de rénovation, que ce soit sur des sites exceptionnels où l’on ne peut plus construire ou pour intervenir sur des bâtiments publics pour en changer les usages », confie l’architecte.
Bien qu’elles ne soient pas forcément très anciennes, ces constructions des années 60 et 70 arrivent en fin de cycle car elles ne sont pas isolées ou ne répondent pas aux normes actuelles. Et tandis que l’on procédait souvent à un curage général pour repartir sur une base totalement neuve, la tendance aujourd’hui est plutôt au réemploi maximal des matériaux présents sur le lieu.
« Pour moi, la manière de penser une maison, un équipement public, ou bien encore un projet plus utopique dont on ne sait s’il sera réalisé, émane de la façon de penser en général, explique-t-il. Oui, les problématiques énergétiques sont primordiales. Mais la génération d’architectes à laquelle j’appartiens a déjà intégré ces paramètres. En revanche, je tiens à une forme de modestie dans l’approche, quelle que soit l’échelle du projet. Je cherche à faire disparaître le bâtiment dans le paysage pour modérer son empreinte. Pour autant, assimiler ne signifie pas uniformiser, bien au contraire ! »