Parmi vos premières expériences, quelle fut la plus décisive ?
Vo Trong Nghia : Probablement le premier projet en bambou, que j’ai livré en 2008 : le Wind and Water Bar. Il s’agit d’un grand dôme en bambou coiffé d’un toit de chaume, construit sur un petit lac artificiel dans la province du Binh Duong, au nord d’Hô Chi Minh-Ville. Lors de la fabrication du Wind and Water Bar, nous avons commencé par un module qui s’est développé et multiplié pour établir une grande structure en bambou. Dans mes premières années de pratique, je n’étais pas très riche. J’ai dû travailler de mes propres mains sur ce chantier pour aider les douze autres artisans. Simple en apparence, le projet offre une immense qualité spatiale : il est devenu un lieu très prisé dans la région.
Quand et comment vous êtes-vous intéressé au bambou ?
Au Japon, en 2004, dans mon laboratoire de recherche, j’ai découvert les ouvrages et l’œuvre de l’architecte colombien Simon Velez. J’ai immédiatement eu envie de faire la même chose au Vietnam. Plus tard, à mon retour, j’ai constaté que le bambou était très bon marché et facilement disponible. J’ai donc décidé de me lancer. Et ça ne m’a jamais quitté depuis.
Comment votre culture influence-t-elle votre architecture ?
Le Vietnam est un pays d’Asie du Sud-Est, entouré à l’ouest par le Laos et le Cambodge, au nord par la Chine, à l’est et au sud par l’océan Pacifique. Grâce au climat tropical humide, la mer et la nature sont très belles. Mon pays compte environ 95 millions d’habitants, et la structure de la population est très jeune. Notre économie est en plein développement. Le climat et le mode de vie des Vietnamiens conditionnent beaucoup ma manière de créer des espaces : comment habiter avec la nature et comment faire face aux températures très élevées que nous connaissons ici ? Parce qu’auparavant, il n’y avait ni climatiseur ni électricité. On dormait, mais on devait se réveiller la nuit pour agiter l’éventail. Parfois, à minuit, on se levait pour se doucher à cause de la chaleur. Mon agence est donc très douée pour concevoir des lieux compatibles avec le climat chaud et tropical ! Et je pense que c’est bien mieux pour notre santé de limiter l’usage des machines, que je trouve aujourd’hui beaucoup trop généralisé.
Vo Trong Nghia, quelle est la vision que vous défendez ?
Pour moi, elle consiste à vivre en harmonie avec le climat, la culture et les populations locales. En plus, elle intègre des enjeux énergétiques – économiser l’électricité –, mais aussi de l’énergie grise, de l’énergie dans la construction, dans le fonctionnement du bâtiment. C’est une approche globale guidée par la volonté de minimiser les effets néfastes de l’impact humain sur la nature. Dans nos projets, nous essayons de protéger l’air, l’eau et la terre en choisissant des matériaux de fabrication et des procédés respectueux de l’environnement. Chacune de nos réalisations vise également à réintroduire des espaces verts dans les zones urbaines, de plus en plus densément peuplées, et à s’attaquer aux problèmes qui en résultent tels que la surchauffe, la pollution de l’air et les inondations. Pour moi, la chose la plus importante dans un édifice, c’est cette harmonie avec le climat, la géographie, la culture de la région et la façon dont les gens se comportent avec la nature. Parce que l’homme est une partie indissociable de la nature. Il est tout bonnement impossible de recourir systématiquement à la climatisation, la crise de la Covid-19 l’a prouvé. Ce n’est pas une question de philosophie. C’est concret.