Vous êtes la première femme nommée présidente du Salon de Milan. Comment avez-vous réagi ?
Maria Porro : Tout le monde me pose cette question… Je me sens honorée et j’accepte la responsabilité qui va avec ce poste mais pour moi, il n’ jamais été une prérogative masculine ou féminine. En tout cas, je suis très heureuse de casser une routine et d’incarner l’innovation et l’inclusivité.
Votre parcours assez atypique est-il un frein ou une force chez Porro ?
Mon parcours dans le milieu du théâtre, de l’opéra ou sur des événements comme les cérémonies d’ouverture des JO, de Londres ou de Sotchi, m’a été très utile. Être décoratrice m’a permis de créer des espaces où l’émotion s’exprime. J’ai appris le travail en équipe, car chacun, de la couturière au plus grand chanteur d’opéra en passant par le responsable des éclairages, est impliqué. C’est tout cela que j’ai amené chez Porro. De plus, avoir pu voyager, travailler et vivre à l’étranger m’a servi pour comprendre des cultures diverses. Ces expériences ont nourri mon travail dans l’entreprise, qui est très tournée vers l’international.
Travailler en famille et, a fortiori, avec son père est-il chose facile ?
Lorsque j’ai voulu rejoindre l’entreprise, mon père Lorenzo, qui dirige Porro, m’a dit : « Ne travaille pas avec moi ! Fais plutôt ce que tu veux ! » Je crois que travailler ensemble lui a appris qui je suis vraiment. J’ai la chance d’avoir une très forte relation avec lui, même si parfois nous nous affrontons.
Maria Porro, première femme à la tête de l’entreprise familiale
Diriez-vous qu’il existe encore une approche patriarcale dans les entreprises italiennes ?
Pendant des décennies, le fils succédait au père et endossait la responsabilité de poursuivre son travail. Pour ma génération, et sans doute celle avant moi, cette question n’a plus lieu d’être. Je pense que le changement a commencé dans les années 60 et, aujourd’hui, il est quasiment achevé. Je représente la quatrième génération et je suis la première femme à la direction de Porro, mais je constate la même chose dans bien d’autres entreprises.
Justement, est-ce un souci d’être une jeune femme dans l’industrie ?
Pour moi, la question d’être une femme dans un milieu industriel ou dans le design ne se pose pas. D’aussi loin que l’on puisse remonter, les femmes ont toujours créé. Personnellement, je suis habituée aux situations dans lesquelles je suis la plus jeune et la seule femme.
Une répartition inter-générationnelle
Dans votre usine non plus, les femmes ne sont pas légion…
Il n’y a que Sabrina, qui travaille à l’emballage, car la production reste une activité physique. Nous n’avons pas d’atelier de confection, où généralement les femmes sont nombreuses. Mais à la R&D, au commercial, au plateau technique, au marketing, la répartition entre hommes et femmes est parfaitement équitable : moitié-moitié.
Prônez-vous aussi le mélange des générations ?
Porro a été fondée en 1925 par mon arrière-grand-père, Giulio, avec son frère. Aujourd’hui, les salariés sont jeunes, à l’usine comme dans les bureaux. Dans le cadre du lean management (qui améliore les performances, NDLR), notre organisation de production est volontairement inter-générationnelle. Nous avons une équipe composée d’un senior d’environ 60 ans, qui maîtrise le travail du bois, d’un quadragénaire pour la technologie et l’artisanat, et d’un junior d’une vingtaine d’années axé sur l’informatique. Nous n’avons jamais redouté de confier de vraies fonctions à des jeunes, ni d’employer des seniors qui transmettent leur savoir-faire. Être jeune et avoir des responsabilités est un challenge, mais quand votre entourage croit en vous, les choses sont plus simples.
Maria Porro, une femme de pouvoir
Quid de la présence des femmes designers chez Porro ?
Il est vrai que nous collaborons avec plus d’hommes que de femmes : avec Front, deux Suédoises, avec Gam Fratesi, qui est un duo intéressant du point de vue du mix culturel (Stine Gam est danoise, Enrico Fratesi est italien)… Dans le design, j’ai le sentiment de voir de plus en plus de collectifs. D’ailleurs, l’année prochaine, un autre couple nous rejoindra.
Vous faites partie de la fondation Altagamma.Vous avez été élue en 2020 pour quatre ans à la tête de l’association nationale qui regroupe les industries du meuble, Assarredo. Soulignons que vous en êtes la première femme présidente. Est-ce un challenge ?
Cela signifie beaucoup. Je ne suis pas la seule, puisque nous avons un conseil de 30 entrepreneurs, dont beaucoup de femmes. Avec cette association nationale de fabricants italiens, je veux notamment travailler sur la transition de l’industrie du design italien vers une plus grande durabilité. Peut-être qu’en cela le point de vue féminin est important.
La parentalité comme diplôme
Comment cela ?
Je suis mère de trois enfants et, en tant que parent, je suis très sensible à la qualité de notre environnement, à son respect pour les générations futures. Être enceinte dans le monde professionnel est aussi un vrai défi : vous devez être performante quoi qu’il arrive, vous apprenez à optimiser votre temps, à aller à l’essentiel… Si c’était possible, j’aimerais que la grossesse et la maternité soit considérées comme une qualification !