L’actuel climat politique au Brésil affecte-t-il votre façon d’envisager le design ?
Humberto Campana : Oui, nous sommes entre deux forces antagonistes, aussi puissantes l’une que l’autre. La première, populiste, génère la seconde, un esprit de résistance, notamment en ce qui concerne les questions environnementales. Je veux rester positif. Vous savez, depuis que je suis né, le Brésil a toujours été en crise. Nous en vivons une nouvelle, nous y faisons face et nous y survivrons.
Avoir connu la dictature aide-t-il à prendre du recul ?
Oui, mais le contexte actuel est vraiment délicat. Avec ce nouveau gouvernement, le Brésil régresse, qu’il s’agisse des questions ayant trait aux autochtones, à l’environnement ou aux gays. Le climat est devenu très conservateur. Les gens s’affrontent, le pays est comme cassé en deux. Je n’avais jamais vu ça ici. On souhaite vraiment le départ de dirigeants inquiétants, comme Donald Trump.
Jusqu’à maintenant, la création était-elle encouragée au Brésil ?
Nous avions des foires faisant la promotion des jeunes designers et des événements tels que la Biennale d’art et de design de São Paulo. Beaucoup de jeunes sont arrivés récemment sur la scène du design brésilien. Il y en a des tonnes, et de très bons, comme Zanini de Zanine. Et, surtout, le travail sur nos racines brésiliennes est devenu beaucoup moins rare.
Pourquoi avez-vous créé l’Instituto Campana ?
Parce qu’il était temps de transmettre ce que nous avons reçu du Brésil et, en premier lieu, l’inspiration, dans toute sa diversité. Notre intention était d’être utiles, d’aider les communautés moins privilégiées en montrant notre approche du design et de faire une école de l’artisanat tout en le valorisant. Ce que j’entends par « aider », c’est aussi répandre l’idée que, quand vous travaillez avec votre tête, vous pouvez être acteur de votre vie. Nous travaillons par exemple avec de jeunes sans-abri qui vivent à proximité de là où nous sommes installés. Il s’agit aussi de préserver la mémoire de notre pays. Beaucoup de gens oublient ce que nous avons fait dans le passé. La mémoire est toujours effacée par quelque chose de nouveau. Le but est de préserver nos fondations culturelles.
Travaillez-vous toujours de la même façon, votre frère et vous ?
Il y a eu une certaine évolution. Au-delà de notre pratique de designers, nous avons emprunté des passerelles entre design, art et paysage. Pour ma part, je voudrais aujourd’hui m’exprimer davantage à titre personnel, en tant qu’artiste. Fernando, lui, fait de la sculpture, des collages. J’ai moi aussi pratiqué la sculpture. Tous les deux, nous avons chacun la même envie d’être nous-mêmes et pas en permanence « les frères Campana ». Nous travaillons ensemble depuis trente-cinq ans, mais il faut faire la distinction entre les projets pour les éditeurs de design et nos créations personnelles. Ces dernières relèvent de processus que nous menons en dehors de notre studio.
Votre toute première collection de sièges était baptisée « Desconfortáveis » (« Les Inconfortables »). Etait-ce une provocation ?
Disons que c’était comme ça qu’on voyait les choses. À ce moment-là, nous étions à la recherche d’un langage brésilien. Le modernisme régnait en maître, incarné par les tenants, généralement allemands, de ce courant. Nous avons créé cette collection comme une sorte de dystopie soulignant les racines culturelles du Brésil, à l’intersection de plusieurs courants et reflétant le fait que nous nous sentions à la fois autochtones, africains, européens et asiatiques. Elle incarnait un thème qui, si l’on se réfère à la dictature militaire, parlait de liberté. Le simple fait de pouvoir exposer était une promesse.
Après que Massimo Morozzi, le directeur artistique d’Edra, vous a repérés dans le livre 50 Chairs, de Mel Byars, que s’est-il passé ?
Il nous a appelés pour produire le fauteuil Vermelha, qui a ainsi été lancé au Salon du meuble de Milan 1998. En novembre de la même année, Paola Antonelli, conservatrice au département d’architecture et de design du MoMA de New York, nous a contactés à son tour pour une exposition. Toutes ces portes qui se sont ouvertes, c’est grâce à Massimo Morozzi. Il a été notre maître.