Interview : La philosophie du voyage de Valéry Grégo

Installé à Londres depuis une vingtaine d’années, le Français Valéry Grégo a créé la société Perseus afin de « construire et exploiter des hôtels ». L’an passé, cet entrepreneur piqué d’architecture et de design a revendu la compagnie des Hôtels d’en Haut (Alpaga, Le Fitz Roy, Les Roches Rouges...) pour se consacrer à la conception d’une nouvelle collection d’établissements qui poseront les repères du luxe de l'hôtel du futur. Des lieux dotés d’une conscience environnementale forte et responsable, d’un ancrage local assumé et d’une plus grande flexibilité pour l’utilisateur...

Dans votre valise, vous n’oubliez jamais…
Valéry Grégo : J’évite la valise. Je préfère voyager léger pour ne pas m’encombrer et ne pas encombrer les endroits où je me rends. Je pars donc avec un petit sac à dos et le strict nécessaire. On réalise vite que l’on n’a pas besoin de grand-chose – et les bénéfices que cela apporte. À moi, mais aussi aux autres. J’aime bien vivre ma destination vers un hôtel ou autre en arrivant léger pour mieux écouter ce que l’on a à me dire.

Plutôt auto ou vélo ?
Cela dépend vraiment des situations. Ce serait trop facile de répondre : la voiture, ça pollue et le vélo, c’est propre. Je n’ai plus de voiture depuis vingt ans, car à Londres, c’est inutile. Mais il y a des endroits où l’on n’a pas ce luxe de pouvoir choisir. Donc, c’est selon… Il faut savoir s’adapter. Évidemment, lorsque je peux, je prends le vélo ou je marche.

Avion ou train?
Je préfère le train, car on s’approprie le temps qui passe et l’on peut observer le cheminement du périple. C’est un rapport au temps qui me convient. Dans un avion, on décolle, on ferme les yeux et on est arrivé. On perd toute une partie du voyage. Alors, si je peux, j’opte pour le train. En outre, il y a cette manière d’atteindre le cœur de la ville qui me plaît.

De la ville à la campagne

Londres ou Paris ?
Londres est ma ville depuis 1998. J’y suis venu pour découvrir le monde. D’un seul coup, j’avais un accès à la culture comme je ne l’avais jamais eu auparavant.

Grands espaces naturels ou métropoles urbaines ?
Là encore, cela dépend. J’habite à Londres, mais j’ai une maison à la campagne en Espagne, à 20 minutes de toute habitation. J’apprécie le contraste, mais surtout l’équilibre entre ce que ces deux endroits m’apportent.

Votre spot de prédilection à la montagne ?
La Grave, en Oisans, été comme hiver. Je skie depuis mon enfance et j’ai un rapport à la montagne qui est resté intact. J’aime ce lieu comme il est. Il y a vingt ans, j’aurais pu dire Chamonix.

Une ville qui vous fascine et où vous êtes heureux de retourner ?
J’aime toutes les grandes villes, l’énergie qu’elles délivrent et l’accès qu’elles offrent à plein de choses.

Une destination pour décompresser ?
Ce doit être avant tout un voyage intérieur. Je m’astreins à cette obligation de chercher à être heureux partout. La vie est précaire et je ne veux pas penser qu’il y a des conditions extérieures qui peuvent influer sur mon bien-être, mon bonheur… Cela doit être en moi.

De l’architecture à l’hôtel

L’architecte contemporain qui compte le plus à vos yeux ?
C’est difficile de donner un seul nom… Alors, j’ai pensé à l’architecture sans architecte et à ce qui incarne la modernité. Il y a plusieurs exemples de maisons, sur les bords de la Méditerranée, dans la culture maya préhispanique… qui ont influencé les grands architectes du XXe siècle. L’accord entre la forme et la fonction y est très juste : garder la fraîcheur en été et la chaleur en hiver… Avant tout, parce qu’elles sont bien positionnées, construites avec les bons matériaux, les bons volumes… Ces maisons n’ont pas été pensées pour être sublimes, mais elles le sont devenues par essence.

Maison de Bijoy Jain.
Maison de Bijoy Jain. DR

Un bâtiment que vous appréciez particulièrement ?
J’ai la chance de bien connaître Bijoy Jain, avec qui je travaille sur un projet d’hôtel à Nice – ce sera la première adresse de la nouvelle collection ; c’est un couvent du début du XVIIe siècle, situé au-dessus du cours Saleya, bâti par les sœurs elles-mêmes, avec beaucoup d’intelligence, à l’abandon et déconsacré depuis le début des années 80. À Mumbai, en Inde, Bijoy m’a emmené voir plusieurs de ses maisons, dont la Palmyra House, construite à Alibag. Elle est fabuleuse. Pour l’anecdote, j’y suis allé avec ma femme. On y a passé un bon moment et, lorsqu’il a fallu partir, je me suis aperçu qu’elle était en train de pleurer. Elle était totalement touchée par cette maison, par la poésie et l’émotion que Bijoy y avait insufflées.

Les Roches Rouges, une architecture moderniste posée face à la mer, entre pins et tamaris, pour une échappée au tempo méditerranéen.
Les Roches Rouges, une architecture moderniste posée face à la mer, entre pins et tamaris, pour une échappée au tempo méditerranéen. Benoit Linero

L’architecte que vous choisiriez pour faire construire votre maison ?
Je rénove une vieille bergerie sur la plage à Lanzarote, aux Canaries, avec mes amis du duo Festen (hôtel Les Roches Rouges) C’est un projet commun :  j’aime aussi travailler avec les autres. Avec Charlotte (de Tonnac) et Hugo (Sauzay), nous partageons une vision de l’architecture pensée comme une aventure de vie.

« Je suis l’architecte de ma vie et de mes maisons, mais j’aime aussi travailler avec les autres, […] partager l’architecture comme une aventure de vie. »

Un livre de référence ?
Valéry Grégo : À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust. Je le relis très souvent. Pour moi, il y a tout dedans : l’expérience de la vie.

Une lecture pour le voyage ?
Évidemment, le même livre…

Un photographe dont le travail vous touche ?
Comme pour l’architecte, c’était très difficile de choisir un seul nom. Alors, je dirais le réalisateur Ettore Scola. J’aime son cinéma, car la photographie y est d’une très grande qualité. J’ai revu récemment Une journée particulière (1977) et cela m’a de nouveau frappé.

Un artiste favori ?
Sergueï Rachmaninov. La musique classique a une place très importante dans ma vie. Déjà par le fait que je suis marié à une violoniste concertiste. Cette musique a une forme de pureté qui me touche énormément.

Un restaurant ou un repas que vous n’êtes pas près d’oublier ?
Le café en bas de chez moi. Pas spécialement celui de Londres, mais celui où je me trouve. Je vais avoir du plaisir à rester là, à observer les gens, à prendre une tartine, à boire un café… J’aime cette ambiance que j’ai essayé de retranscrire dans chaque hôtel. Il y a aussi cette histoire des plats classiques – l’œuf mayo, par exemple – qui, lorsqu’ils sont bien exécutés, procurent un plaisir très simple. Je me souviens aussi d’avoir accompagné un ami dans un village près de Gênes. Pendant qu’il était à un rendez-vous, je l’ai attendu dans un café à côté, où j’ai dégusté une farinata (tarte de pois chiches, NDLR) incroyable qui reste gravée dans ma mémoire.

Un musée que vous ne vous lassez pas de visiter ?
Le Museo di San Marco, à Florence, pour revoir les peintures de Fra Angelico. À chaque fois que je passe dans cette ville, je vais forcément y faire un tour.

L’hôtel selon Valéry Grégo

Un hôtel de rêve ?
C’est le prochain. Mon hôtel préféré, c’est celui que je n’ai pas encore écrit et sur lequel je travaille.

Des rituels en déplacement ?
Vivre le voyage. Je m’assieds et je prends le temps de regarder. L’observation est importante, puis je m’organise. L’impression de me sentir chez moi vient assez vite.

Fort de vos expériences récentes, plutôt hôtel de plage ou de montagne ?
Pas de choix particulier, mais, en tout cas, en Europe. Projeter un chantier à l’autre bout du monde me prendrait trop de temps en développement pour comprendre, et la culture, et les fonctionnements locaux. Néanmoins, j’aime bien changer de contexte pour sortir de ma zone de confort.

Hôtel Le Pigalle, à Paris, lancé par Valéry Grégo.
Hôtel Le Pigalle, à Paris, lancé par Valéry Grégo. Benoit Linero

Votre prochaine destination de vacances ?
J’ai la chance de ne pas avoir besoin de scinder artificiellement mon temps entre vacances et travail. Je peux être en vacances le matin et travailler l’après-midi, me sentir en congé quand je travaille et avoir l’esprit au travail quand je suis loin… Sinon, je pars surfer à Lanzarote presque tous les mois. Bientôt, donc…

Ce qui vous a donné envie de créer des hôtels ?
Celle de m’exprimer. Je fais des hôtels pour pouvoir traduire ma vision du monde: pouvoir rassembler des meubles avec des copains, pouvoir composer la carte du restaurant…

À part le design, qui caractérise vos projets hôteliers, avez-vous une autre passion ?
La littérature. Je lis dès que je peux, des livres très différents… mais je ne cours absolument pas après la nouveauté. J’ai besoin que le temps filtre les choses.

Une habitude que vous avez durant vos loisirs ?
Ne pas créer de rupture avec le reste du temps.

Que rapportez-vous toujours d’un voyage ?
J’ai pensé à cette phrase : « Je hais les voyages et les explorateurs », de Claude Lévi-Strauss. Il y a quelque chose qui m’a très tôt dérangé dans cette manière colonisatrice d’envisager le voyage. Du coup, je reviens avec des impressions. Je préfère me remémorer des souvenirs plutôt que d’accumuler des choses matérielles.

Portrait de Valéry Grégo.
Portrait de Valéry Grégo. DR