Après la crise sanitaire, qu’est-ce qui a le plus changé pour vous ?
Giuliano Andrea Dell’Uva : De façon générale, elle a très peu modifié mon approche du design et de l’architecture, qui utilise l’innovation et l’imagination au profit de solutions améliorant la qualité de vie. Nous venons de redécouvrir l’importance de vivre en harmonie avec la nature. Mes projets révèlent une profonde empreinte méditerranéenne et sont toujours agrémentés de verdure et d’espaces ouverts. Le fait que, durant la crise sanitaire, beaucoup de gens se soient retrouvés confinés dans des condominiums implique désormais de devoir repenser l’architecture. Les gens s’épanouissent quand même mieux dans des espaces avec de la lumière, de l’air et une vue. Les règles de distanciation sociale vont-elles tout rendre plus spacieux ? Le design, lui, va privilégier les appareils techniques sans contact, un peu comme les éviers automatiques pour toilettes publiques.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je suis en train de poursuivre la rénovation d’un bâtiment ancien (l’hôtel Palazzo Luce, NDLR) dans le centre historique de Lecce, un projet qui mélange toute une collection de meubles de Gio Ponti des années 30 à 70 à des œuvres d’art contemporain. Je travaille également sur une magnifique villa du lac de Côme, à Bellagio, sur le thème de Pompéi. J’y associe des tuiles napolitaines anciennes à des souvenirs artistiques dans l’esprit du fameux Grand Tour, cet itinéraire européen que les artistes et amateurs d’art réalisaient aux XVIIIe et XIXe siècles. Je planche aussi sur un ancien bâtiment à Orvieto, en Ombrie, et sur d’autres maisons donnant sur la mer, à Capri, à Porto Rotondo, en Sardaigne, et à Polignano a Mare, dans les Pouilles. Je développe enfin le premier hôtel cinq étoiles de Pompéi, où nous sommes en train de recréer l’esprit de la maison d’un archéologue collectionneur imaginaire.
Côté design, une gamme de carreaux peints à la main va sortir chez Ceramica Vietrese Francesco De Maio, nom emblématique des céramiques de Vietri (village de la côte amalfitaine, près de Salerne, célèbre pour cet art du feu, NDLR). Ils représentent des tapis peints qui donnent du caractère à l’espace alentour. Leurs couleurs s’inspirent des dômes des églises de Positano, d’Amalfi et de Capri. Sans oublier notre collection de papiers peints pour London Art, avec un modèle qui emprunte à l’architecture moderniste romaine et un autre influencé par des décors de maisons du site de Pompéi.
Mixer mémoire et esthétique contemporaine
L’histoire de l’architecture italienne vous inspire-t-elle ? Ou est-ce un modèle à dépasser ?
J’ai le plus grand respect pour l’histoire de l’architecture italienne. Mes travaux favoris reposent toujours sur une approche conservatrice depuis laquelle j’adapte mon style en vue d’instaurer un dialogue avec les grands maîtres. C’est seulement à partir de là que je tente d’aller plus loin.
Vos projets ne procèdent-ils pas d’un même esprit italien ?
Toujours. Je peux, certes, introduire, pourquoi pas, des détails issus de l’architecture américaine moderne. J’utilise volontiers du mobilier de designers nordiques, mais mon architecture, plus qu’italienne, est avant tout méditerranéenne. Je privilégie la lumière, les blancs, les bleus, le rouge, le jaune, la fraîcheur et la netteté des lignes. Autant de traits qui font que mon style est reconnaissable. Ce qui le distingue aussi, c’est sa capacité à mixer mémoire et esthétique contemporaine.
Lequel de vos projets évoque pour vous l’idée d’un lifestyle méditerranéen ?
L’hôtel Miramare ! Les nuances du ciel et de la mer, le soleil, l’escalier nu peint à la chaux vive. Une architecture faite de courbes avec des carreaux de céramique aux couleurs de la nature. Nous ajoutons actuellement de nouvelles chambres aux cinq premières. Le Miramare se trouve à Sant’Angelo, une petite ville de l’île d’Ischia. Il est construit sur la roche et jouit d’une plage privée. Pour moi, c’est le plus bel endroit de l’île.
Les maisons y sont simples comme celles des pêcheurs. Comme elles, les escaliers de l’hôtel sont peints en blanc. Les irrégularités sur le ciment sont voulues. Les couleurs ? Le bleu de la mer et le vert de ses reflets sur les rochers. Les clients retrouvent cette palette jusque sur les têtes de lit en céramique. Les lampes au plafond ont été trouvées dans le garage ! Nous avons mélangé tout cela avec du design contemporain, notamment des sofas Gebrüder Thonet Vienna. Le but était d’avoir un hôtel de style méditerranéen, mais d’un genre nouveau.
Votre aisance dans le travail du marbre, c’est culturel ?
Très juste. Je suis né près de Pompéi, un site que j’ai visité plusieurs fois et qui m’a toujours inspiré. Vous pouvez voir là-bas toutes sortes de marbres, de toutes les couleurs.
Travaillez-vous toujours avec les mêmes artisans ?
C’est essentiel. Une fois que je commence à collaborer avec un artisan, je lui transmets mon idée, ce qui n’a rien de facile. Il traduit ensuite cette pensée. À partir de là, pour moi, avoir déjà travaillé ensemble est un avantage.
Intervenir dans des lieux qui ont une histoire
Un lieu doit-il forcément refléter le contexte dans lequel il est aménagé ?
Bien sûr. Le contexte est le point de départ de mes projets. J’essaie toujours de trouver un dialogue entre les intérieurs et l’extérieur. En ce moment, par exemple, le projet de l’ancien palazzo d’Orvieto, près de l’historique puits de Saint-Patrice, m’inspire et m’influence énormément. Je pars de l’architecture originelle du lieu avant de lui appliquer une approche plus contemporaine, mais qui veille à rester respectueuse.
Poussez-vous vos clients à oser des choses nouvelles ?
Oui, absolument. C’est pour moi la seule façon de progresser, d’apprendre, d’utiliser de nouveaux matériaux, des tissus ou des objets. Si je n’expérimentais pas en collaborant avec mes clients, cela briderait mon inspiration. Je pratique depuis dix ans. Les personnes qui viennent me voir connaissent mon grand respect pour l’ancien et attendent de moi un regard. C’est ainsi que je fais revivre les espaces. Je ne change pas d’emblée les structures, j’introduis de nouveaux matériaux. En fait, je préfère intervenir dans des lieux qui ont une histoire. Mais cela ne me gêne pas de travailler dans des immeubles contemporains. Ce sont simplement deux approches différentes.
Directeur artistique de la maison Livio De Simone, comment créez-vous ses tissus ?
À Capri, dans les années 50 et 60, Livio De Simone était la référence en matière de style méditerranéen. La maison a ensuite vécu une période d’éclipse jusqu’à ce que la fille du fondateur la fasse renaître. En tant que directeur artistique, j’ai respecté la nature originelle des motifs en leur donnant plus de couleur et une touche plus contemporaine. Livio De Simone sort désormais des tissus pour l’ameublement en lin peint à la main par les meilleurs artisans napolitains, avec notamment un certain jaune et un certain bleu sur les rayures qui procurent une ambiance naïve.
Est-il délicat de s’adresser au monde entier depuis Capri ?
Pas du tout. S’adresser à une clientèle internationale est justement ce que Livio De Simone attend de moi. Capri, c’est aussi la villa Lysis, l’icône de l’« autre » Capri, raffinée mais subtilement subversive et païenne, en totale opposition avec la Capri « naturelle » racontée par Axel Munthe (1857-1949, médecin et écrivain suédois, NDLR). La villa Lysis est aux antipodes de la villa San Michele, de Munthe, un homme brut de décoffrage, l’exact contraire du propriétaire de la première, le baron Jacques d’Adelswärd-Fersen (1880-1923, poète et romancier français, NDLR). Capri n’est pourtant ni l’un ni l’autre et bien plus que les deux réunis.