IDEAT : La boutique The Pink Closet, de l’hôtel Palazzo Avino, à Ravello, sur la côte amalfitaine, vient d’ouvrir. Comment est né ce projet ?
Cristina Celestino : Ma cliente, Mariella Avino, est une jeune femme amatrice de belles choses. Elle a le goût des labels de mode internationaux un peu confidentiels. Son idée était d’ajouter une boutique à l’hôtel pour offrir une sélection de mode et d’accessoires féminins. Le nom The Pink Closet (« Le Cabinet rose ») était déterminant dans le brief. Car le rose est la couleur fétiche du Palazzo Avino, jusque sur sa façade. Ce qui suggérait une certaine féminité et une idée de sophistication, renforcées par l’idée de cabinet. L’atmosphère intime de la boutique fait que vous y passez aussi bien pour acheter quelque chose que pour le lieu lui-même, pour admirer ses couleurs, ses motifs et ses matières. La commune de Ravello, située au-dessus de la mer, et abritant une multitude de villas luxueuses, compte aussi pour beaucoup dans l’esprit du lieu. J’en ai fait une sorte de grotte contemporaine. Au sol, j’ai choisi une marqueterie de marbres de différentes couleurs, qui vont du vert au rose. Au mur, j’ai posé des tuiles de céramique en forme de coquillages que j’avais dessinées pour Fornace Brioni. Tout, jusqu’au moindre détail, procède de l’artisanat italien.
Vous utilisez souvent la couleur rose…
Oui, mais ce n’est pas le Millennial Pink que l’on voit partout ! (Rires.) Mon rose est beaucoup plus sophistiqué. Il se mêle aux matériaux, aux miroirs ou aux tissus avec différentes finitions : mat, poudré, brillant. Pour le chausseur Sergio Rossi ou la boutique The Pink Closet, le rose faisait partie du brief. J’ai travaillé les nuances de cette palette à plusieurs reprises, mais elle est loin de me résumer. Pour moi, le rose est une couleur comme une autre, neutre de surcroît, à l’instar du blanc. Le rose a d’ailleurs beaucoup été utilisé dans l’histoire de l’architecture. Prenez certains des intérieurs de Luigi Caccia Dominioni ou de Cini Boeri, ils n’ont, a priori, rien de « girly » !
Est-ce que l’on vous demande beaucoup de projets d’architecture d’intérieur ?
Je suis architecte, je suis donc ravie de faire ces projets et pas uniquement des produits. Ce sont des projets de dimensions raisonnables, comme la boutique de mode LuisaViaRoma, à New York. Je viens également de réaliser un bar à cocktails à Venise dans l’hôtel des Français de l’Experimental Group, réalisé par Dorothée Meilichzon. Je travaille aussi à la restauration du showroom de Fornace Brioni, à Mantoue.
Vous n’avez pas peur d’être perçue uniquement comme une architecte d’intérieur ?
Il ne s’agit pas de décoration ni de stylisme. Et je veux croire que les clients peuvent, au-delà du rose, apprécier mes projets en profondeur ! Récemment, j’ai été contactée par Billiani, une compagnie italienne de contract aux antipodes de la décoration. Je travaille aussi pour des sociétés de mobilier et de design industriel, comme Gebrüder Thonet Vienna ou Kundalini, dans le luminaire.
Être architecte vous procure-t-il un avantage particulier pour réaliser des objets et du mobilier ?
Oui ! J’estime avoir cet avantage. (Rires.) Certes, je n’ai pas étudié le design de façon académique. En tant que collectionneuse, très jeune, j’ai écumé les marchés aux puces, achetant et consultant aussi bien des livres que des catalogues. Mon approche du dessin a été sans limites. Je ne suivais que ma passion, me forgeant mes propres goûts esthétiques. Être architecte me donne, je pense, un sens des proportions. Quand on me demande aujourd’hui de concevoir un produit, chaise ou lampe, d’emblée je pense non seulement à l’objet mais aussi à un esprit général et à l’espace autour. Je commence toujours par dessiner une ligne au sol et, ensuite seulement, j’y place l’objet.
Étudiante en architecture à Venise, avez-vous été encouragée à expérimenter ?
L’enseignement était assez classique… Nous étions surtout encouragés à étudier, à faire des recherches et à démarrer un projet à partir de briefs précis. Pour les étudiants, c’était peut-être très bien, mais pour ma part, je n’ai commencé à expérimenter que plus tard, quand j’ai acquis de l’assurance, six ans après l’obtention de mon diplôme. J’avais également travaillé dans plusieurs agences d’architecture, à Florence puis à Milan, et ce fut une bonne expérience avant de fonder mon propre studio.
Venise, Florence et Milan… Les planètes design de ces villes sont-elles à des années-lumière ?
Oh oui ! (Rires.) Elles sont très différentes. En Italie, Milan reste le meilleur endroit pour le design et l’architecture. Je n’imagine pas travailler ailleurs.
Faire de l’architecture d’intérieur aussi bien que des lampes, c’est un choix ou c’est le fruit du hasard des rencontres ?
J’aime l’idée d’avoir des projets et des clients variés. Ainsi, je ne m’ennuie jamais. Cette diversité de projets reflète celle de mes clients, qu’il s’agisse d’intérieurs, d’objets, de sols ou de textiles. Après, j’ai toujours le choix d’accepter ou non un brief. Je ne fais que ce dont j’ai envie.
Pourquoi avoir si tôt créé Attico Design, votre propre label ?
Attico est né au moment où je participais au SaloneSatellite (la partie jeunes designers du Salon du meuble de Milan, NDLR). J’y montrais beaucoup de pièces qui étaient disponibles à la vente dès la fin de la Fiera. C’est pour cela que j’ai eu besoin de créer un label. Je dessinais mes pièces, les produisais et les vendais. Le premier jour qui a succédé à la fin du salon, j’ai reçu beaucoup de demandes de la part de galeries ou de magasins, comme Le Bon Marché, à Paris. Satellite a été une très bonne vitrine pour moi, aussi bien en matière de commerce que de retombées médiatiques.
Il y a trois ans, à Design Miami, votre installation The Happy Room, pour Fendi, a-t-elle boosté votre carrière ?
Oui, ce fut un moment extrêmement important pour ma carrière. C’était un vrai défi et une grande chance de pouvoir dessiner une collection complète. Ce qui n’est pas si fréquent dans le domaine du design. D’autant que ce projet m’a fait connaître hors d’Italie et même hors d’Europe, puisqu’il a été montré dans le monde entier.
Comment vous est venue, en 2018, l’idée d’investir un tramway baptisé Tram Corallo ?
Quand je me suis installée à Milan, j’habitais sur le tracé du plus ancien tramway. Et j’y montais tous les matins. J’aimais regarder défiler les rues à travers les fenêtres, tout spécialement depuis le bow-window, à l’arrière du wagon. Je suis fascinée par l’idée de voyage, de trajet. Tram Corallo était mon premier projet personnel pour la Milan Design Week. Jusque-là, je concevais des projets pour des marques. Là, j’y ai associé des partenaires. Je voulais que le design devienne une expérience de voyage, à bord d’une icône milanaise ambulante. La gageure était de mêler l’esthétique de mon projet contemporain à quelque chose qui appartenait au passé.
Est-ce ce même mélange de passé et de présent que vous avez mis en œuvre à la Pasticceria Cucchi ?
C’était toute la difficulté de ce projet. Ne serait-ce que pour le choix des matériaux, sans parler de la palette des couleurs. Nous avons travaillé longtemps, échantillons en main, en pensant aux murs, aux sols, à tout. Il devait y avoir un lien puissant entre cette ambiance bourgeoise et ce projet contemporain. Ça ne devait pas être une copie du passé.