Dans les ventes aux enchères, on la surnomme « la mante religieuse » à cause de sa silhouette. Son piètement tripode, en teck ou en bois clair, se prolonge par un fût. Cette structure est typique des formes dites libres qui inspirent nombre de designers, connus comme anonymes, des années 1950. À l’époque, on les retrouve jusque dans les vases en cristal de Daum. Mais cette grande silhouette est aussi un patchwork de styles. Elle emprunte à l’organique plutôt américain, initié par des précurseurs venus du froid comme le Danois Finn Juhl. Au bout de ce fût de bois, un abat-jour généralement sphérique est suspendu à un fil. Si sa forme varie, il est souvent en papier plissé et rappelle le goût qui se répand dans les fifties pour les belles lampes Akari du sculpteur et designer américano-japonais Isamu Noguchi. On lit parfois que l’auteur de cette lampe s’est inspiré d’une sculpture de Jean Arp.
Un modèle devenu culte sans signature
De ce designer, on ne sait pas grand-chose mais cet anonymat n’enlève rien à son talent. En tout cas, ce lampadaire est français, sorti des ateliers G. Rispal, sis au 172, rue de Charonne à Paris dans le XIe arrondissement. Inutile de chercher un créateur dénommé Jean Rispal. Seules les archives d’un des galeristes parisiens les plus érudits sur le sujet, Patrick Favardin, peuvent nous renseigner grâce à des pages de publicité de la société G. Rispal au début des sixties.
On y découvre plusieurs versions de ce modèle de lampe, présentées simplement. Le galeriste nous a expliqué comment les stylistes débordés de ces ateliers étaient tenus de renouveler les collections tous les six mois pour le Salon des artistes décorateurs et celui des arts ménagers, « alors qu’ailleurs, on prenait le temps de développer les produits et de les tester dans le temps comme chez Knoll, Artifort ou Herman Miller ».
En France, le modèle vendu était parfois différent de celui présenté sur la publicité, l’objectif étant d’améliorer sa structure ou de réduire son coût de fabrication. Les multiples versions de la Mante religieuse ne sont donc pas forcément des faux. La France des années 1950 a énormément produit de mobilier ainsi, sans faire émerger de grands noms de créateurs comme en Italie ou en Scandinavie. Trop d’intervenants lors de la conception émiettaient l’aura possible des modèles. Patrick Favardin nous a fait remarquer, documents d’époque à l’appui, l’évolution du style des publicités de G. Rispal de 1961 à 1962 : successivement anglais, scandinave, puis italien !
Avec la folie du tout-plastique, le fabricant rangea son best-seller et disparut en 1982. Mais la Mante religieuse est ressorti du placard ! Un passionné a récemment ressuscité Rispal et la Mante religieuse dans ses différentes versions (lampadaire, applique, suspension…). qui sont désormais plus accessibles que les modèles vintage, systématiquement hors de prix dans les grandes maisons de ventes aux enchères. Durant la prochaine Paris Design Week, ces modèles seront exposées dans le showroom de Disderot aux côtés d’autres icônes lumineuses du design français d’après-guerre.
> Showroom Disderot. Passage Saint-Paul, 75004 Paris. A partir du 5 septembre.