En 1917, le cubisme est roi et Gerrit Rietveld (1888-1964) est alors un jeune ébéniste et apprenti architecte vivant à Utrecht (Pays-Bas). Avide de modernité, d’abstraction et de géométrie, il fabrique un fauteuil qui prend à contre-pied toutes les conventions du mobilier de son époque : en lattes de bois, il n’affiche aucune courbe ni couleur et sa structure est totalement apparente. Le fauteuil est en effet conçu avec treize lattes de hêtre. Rietveld choisit de les assembler par de simples chevilles en bois pour camoufler les jonctions. Les planches utilisées pour le dossier, les accoudoirs et l’assise inclinés ne se touchent pas. Les différentes parties s’enchevêtrent et les extrémités de la chaise s’étendent plus qu’il n’est nécessaire d’un point de vue morphologique. Le designer fait clairement primer l’esthétique sur le confort et ce choix précurseur marque les esprits…Radical, il devient célèbre par le biais d’une publication dans « De Stijl ». Cette revue permet alors aux jeunes artistes néerlandais, comme Piet Mondrian, de diffuser leurs idées novatrices et regroupe des peintres, des architectes, des sculpteurs, des poètes… qui tous prônent un certain avant-gardisme. « De Stijl » émerge lorsque Gerrit Rietveld crée sa « chaise à lattes ». Ses responsables trouvent chez cet ébéniste un précurseur du mouvement qu’ils sont en train d’initier.
La « chaise à lattes » de Rietveld est donc publiée dans la revue « De Stijl » en 1919 et elle permet à son auteur d’intégrer le mouvement. Il rencontre alors le peintre Piet Mondrian (1872-1944), dont le style fait de couleurs primaires se répercute immédiatement sur son travail. En 1923, Rietveld peint la « chaise à lattes », qui devient ainsi la chaise Rouge bleue. Il fait le choix d’une différenciation chromatique et sépare les éléments constructifs selon leur fonction : la structure est noire, le dossier rouge, l’assise bleu et les extrémités jaunes. Il envisage ce fauteuil comme une vision en trois dimensions de l’œuvre de Mondrian. Et c’est cette version qui est passée à la postérité.
La chaise Rouge Bleue est aujourd’hui commercialisée par Cassina. La maison milanaise, qui compte de nombreux classiques du design à son catalogue, a acquis les droits de réédition en 1973. Ses équipes se sont associées aux proches et aux collaborateurs du créateur néerlandais pour coller au plus près à l’esprit de cette icône. Un exemplaire d’époque et son prototype sont conservés au MoMA. Si cette création est la première œuvre marquante de la carrière de Gerrit Rietveld, elle ne sera pas la dernière… Le succès quasi instantané de la Rouge bleue apporte une notoriété à son jeune créateur, qui multiplie ensuite les projets. En 1924, il synthétise toutes ses idées dans une maison révolutionnaire pour la famille Schröder. En plus de l’architecture, il dessine la quasi-totalité de l’ameublement.
Il dessine ensuite la chaise Zig Zag en 1933, une des premières avec une assise en surplomb, puis le fauteuil Utrecht, la chaise Beugel… Après avoir officiellement quitté le mouvement « De Stijl » en 1928, Rietveld demeure passionné par les courants artistiques d’avant-garde. Il se rapproche ensuite de la « Nouvelle Objectivité » avant de rejoindre le CIAM qui prône une architecture fonctionnelle. Il conçoit plusieurs projets immobiliers dans les années 50, de la Stoop House en 1951 à l’usine textile Ploeg en 1956 en passant par le pavillon d’architecture de Sonsbeek en 1954. Gerrit Rietveld meurt en 1964 en laissant les plans du Musée Van Gogh d’Amsterdam inachevés. Quant à sa chaise Rouge bleue, elle a intégré la plupart des musées de design historique…