Sulfureux et irrévérencieux, le fauteuil Smoke de Maarten Baas ne laisse personne indifférent. Avec ses volutes carbonisées, il peut apparaître comme un hommage au style baroque, tout comme une invitation à tirer un trait sur le passé. Mais en 2002, lorsque le designer présente pour la première fois ce projet, le monde du design retient avant tout un acte de provocation. Un geste iconoclaste d’où émerge une définition encore inédite de la beauté.
En commençant par brûler une chaise et un lustre aux lignes archétypales, Maarten Baas initie le projet « Smoke » alors qu’il est encore étudiant. De retour à la Design Academy d’Eindhoven après plusieurs mois passés au Politecnico de Milan, il cherche alors à développer une nouvelle vision de la beauté et de la perfection. Car d’après le créateur, « dans la nature, tout change continuellement, ce qui crée une certaine beauté. Alors que chez l’homme, il y a une tendance à conserver les choses comme elles sont supposées être, et à les figer dans leur beauté originelle. Smoke joue avec ces deux perceptions de la beauté. »
Inutile de se cramponner à une certaine esthétique selon le designer, qui compare son geste à un sacrifice pour ouvrir un nouveau chapitre. S’il peut paraître brutal au premier abord, le fait d’enflammer du mobilier ancien se veut avant tout libérateur. A une époque où la texture du bois brûlé n’occupe pas encore le devant de la scène, celle-ci fait figure d’esthétique nouvelle et surprend autant qu’elle fascine. D’autant plus qu’elle ne dénature pas la fonction de chaque pièce, grâce à un processus de combustion soigneusement contrôlé et une résine époxy qui fige ensuite l’ensemble. Quant à la chaise et au fauteuil créés dans la foulée, ils retrouvent tout leur confort grâce à une nouvelle garniture habillée de cuir.
Editée par Moooi à partir de 2003, la série « Smoke » rencontre un succès immédiat et se décline dès 2004, à l’invitation de la galerie new-yorkaise Moss. Maarten Baas y présente alors 25 icônes du design à qui il a réservé le même sort. En consumant la chaise Calvet de Gaudi, la Zig Zag de Rietveld, la Hill House de Mackintosh, le fauteuil LCW des Eames, la bibliothèque Carlton de Sottsass ou le fauteuil Favela des frères Campana, le designer frappe les esprits comme jamais, et métamorphose par la même occasion les plus grands chefs-d’oeuvre du design industriel en pièces uniques.
A cheval entre le design et l’art de la performance, cette exposition a pour certains des allures de parricides. Maarten Baas préfère, lui, parler d’hommage. Quoi qu’il en soit, ce tour de force a bel et bien atteint son objectif : donner naissance à une esthétique nouvelle, celle d’un designer qui n’hésite pas à employer la technique du brûlis pour cultiver une nouvelle approche. Une démarche largement tournée vers l’art et l’artisanat, renouant avec une spontanéité et une certaine naïveté qui donneront ensuite naissance aux assises Clay ou aux horloges Grandfather.