Il pourrait y avoir quelque chose d’agaçant chez Hugo Toro. Cette faculté singulière à exceller dans chacune de ses multiples occupations, ce parcours brillant qui n’exclue pas quelques sorties de route, ce succès tout sauf volé, qui font aujourd’hui de lui l’un des architectes les plus en vue de sa génération. En ce début d’année, non seulement il dévoile ses peintures – oui, il est aussi peintre à ses heures perdues – dans l’exposition « Aguas que murmuran », à voir jusqu’au 15 mars à l’Institut culturel du Mexique, à Paris, mais il signe également le décor du Marlow, nouvelle pépite gustative de Monaco.
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Marlow, un club de polo anglais sur la French Riviera
Son dernier projet en date l’a emmené en territoire monégasque, en équilibre sur un quartier flambant neuf intégralement construit sur l’eau. Ouvert mi-février, le restaurant Marlow n’était pas la moitié d’un défi pour l’architecte pourtant rompu à l’exercice : « L’idée était de créer, dans un espace qui n’a jamais été habité et où les gens n’ont encore aucun repère, un lieu qui semble avoir toujours été existé. »

Inspiré des clubs privés à l’anglaise, Marlow se déploie sur 300 mètres carrés d’intérieur et 100 mètres carrés de terrasse, dans un entrelacs de boiseries, de patines, de marbres roses et vert d’eau, de verre de Murano et d’un cabinet de curiosités dédié à l’artiste Lady M, auxquels s’ajoutent quelques touches délicatement marines : motifs d’inspiration corallienne, lampes aux allures de méduses sensuelles… « J’ai imaginé un club de polo sur la French Riviera, avec un lien fort entre terre et mer. Une association qui aura nécessité que tout soit intégralement fabriqué sur mesure, des moquettes aux luminaires ».

Des collaborations qui, loin d’être de simples one-shots, savent renaître sous d’autres formes, à l’instar de celle inaugurée avec l’Orient-Express et son comptoir de la Samaritaine, qui se poursuivra prochainement par l’ouverture de son tout premier hôtel à Rome, la Minerva : « Il s’agit de mon premier hôtel fixe, pour lequel j’ai tout dessiné, dans un lieu unique, sur le rooftop du Panthéon. C’est une véritable expérience ». S’ensuivront l’hôtel Palm Beach à Cannes, un palace à Courchevel, et d’autres créations à Séoul ou encore au Maroc.
« C’est comme si on avait en face de soi un système solaire, et que j’en dessinais toutes les planètes »
Afin de comprendre la trajectoire du personnage, il importe de rappeler quelques éléments clés d’un parcours pour le moins éclectique, avec un passage remarqué à l’école d’architecture de Penninghen – dont il sort major de promotion –, suivi d’une formation à l’université Angewandte Kunst de Vienne, puis UCLA, en Californie, durant laquelle il se tourne vers l’architecture conceptuelle et les outils numériques.

Un tournant qu’il justifie par une volonté de composer en permanence entre plusieurs époques et influences : « Je suis un geek et reste persuadé qu’il faut moderniser la profession. Je crée dans chaque projet une réponse qui puise dans des références passées et contemporaines, afin d’aboutir à une forme d’intemporalité. » Fasciné par la période Art Déco, il est également sensible aux travaux d’Adolf Loos, Zaha Hadid, Vincenzo de Cotiis ou encore Kelly Wearstler. Une érudition qui se mêle à une attention extrême aux détails les plus anecdotiques, voire triviaux : « Je peux m’inspirer d’un passant aperçu dans la rue, d’un couloir de métro, d’une lumière, d’un croquis retrouvé dans un carnet, ou même d’une poubelle ».

Et c’est bien cette profusion de styles, cet art consommé du récit, qui font de lui un artiste unique en son genre, auquel on confie des projets d’une variété qui donnerait presque le vertige. « Je pense que mon implication et ma passion font la différence. Le fait d’être architecte, architecte d’intérieur, artiste et designer me permet de tout créer de A à Z. C’est un peu comme si on avait en face de soi un système solaire, et que je dessinais toutes les planètes, dépeint-il avec une certaine assurance. Sauf que je ne redessine jamais deux fois la même chose. Je m’adapte vraiment au lieu et ce qui m’intéresse, c’est de recréer un nouveau scénario à chaque fois ».
Hugo Toro, créateur absolu
Une approche absolue de la création, donc, qui se décline sur de multiples supports : peinture, design textile et d’objet, bijoux, art de la table… Du jardin d’hiver victorien de la gare Saint-Pancras de Londres à la Villa Albertine de New-York, en passant par ses appartements des Buttes Chaumont et sa première collection de mobilier dévoilée chez Christie’s et éditée par la galerie parisienne Kolkhoze et M Editions, chacun des espaces et des pièces qui passe entre ses mains parvient à créer cet inexplicable mélange d’élégance et de douceur, de discrétion et d’exubérance, de familiarité et d’inédit.

« J’ai la chance d’avoir deux parents qui n’ont pas la même nationalité, avec un père français né près de la frontière allemande et une mère mexicaine, qui m’ont tous deux transmis une certaine façon de voir le monde. Je ne suis pas bipolaire, mais je réfléchis différemment. Je pense être très Mexicain dans mon approche des couleurs, ayant hérité d’une vision fantasmée de ce pays, que j’essaye de retranscrire. » Actuellement visible à l’Institut Culturel du Mexique, son exposition « Aguas Que Murmuran » lève le voile sur une facette plus intimiste de l’artiste, notamment sa fascination pour l’eau, la filiation et le souvenir.

« J’adorerais dessiner un crématorium, ce sont des lieux qui m’ont toujours fasciné, et qui ne sont aujourd’hui pas très poétiques. Mais aussi un voilier, une station sous-marine, des cabanes ou encore un musée, afin de relier toutes mes facultés, et mettre un bâtiment au service d’une œuvre, conclue-t-il avec douceur. Je suis un hyperactif et l’urgence me stimule. Je suis davantage une rivière qu’un étang et si l’on cesse de rêver… c’est que l’on est déjà mort.
> Restaurant Marlow, Place Princesse Gabriella, Monaco. Plus d’informations et réservations ici.
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