Marre de devoir rester à l’hôtel à Amsterdam ! Profitant de ses nombreux passages dans la capitale pour y voir des clients, le duo de Studio Job a décidé d’y créer sa propre chambre : une « suite » de 150 m2. Dans cet appartement situé au deuxième étage d’un ancien hôtel particulier en brique rouge de 1922 qui borde le Vondelpark et à l’architecture – classée – de l’école d’Amsterdam, Nynke Tynagel vit et son alter ego Job Smeets reçoit. Ce lieu d’habitation, qui est aussi un showroom, attire naturellement l’œil des magazines prenant au passage des airs de carte de visite résumant la fameuse pluridisciplinarité artistique et industrielle du duo. L’un et l’autre sont en effet designers, graphistes, architectes d’intérieur et même commissaires d’exposition pour le compte de nombreux éditeurs, galeries et autres clients privés (voir IDEAT #114). En mars dernier, ils inauguraient « Studio Job Mad House » au Museum of Arts and Design de New York (visible jusqu’au 21 août), la première rétrospective à leur être consacrée ; ils fêtaient la sortie d’une monographie réalisée avec notamment l’aide de la Carpenters Workshop Gallery (Studio Job: Monkey Business, Skira Rizzoli) et célébraient l’exposition de leurs dessins au concept-store Chamber. Leurs nouveautés chez Alessi, Bisazza, Modus et Seletti viennent par ailleurs d’être dévoilées à Milan. « On adore disposer les uns à côté des autres du mobilier et des œuvres sans lien apparent. Ces associations entre l’ancien et le neuf, le faux et le vrai, l’art et le design créent de nouvelles histoires, indique Nynke Tynagel, fière maîtresse des lieux. La vie, c’est la liberté et le fun. »
Une suite à l’extravagance vernaculaire
De même que certains pratiquent le crossdressing – s’habiller comme on l’entend, peu importe le sexe –, Studio Job s’affirme en adepte d’un « crossdesign » qui pourrait revenir à meubler l’intérieur d’un habitat au grand dam des esprits cartésiens. Foncièrement décomplexé, le décor de celui d’Amsterdam a des antécédents : la Studio Job Gallery, dans un espace industriel anversois, le Job Lounge, au Groninger Museum de Groningue, et la Studio Job House, dans une villa moderniste dessinée à la fin des années 50 par un disciple de l’architecte Gerrit Rietveld, près d’Eindhoven, aux Pays-Bas… « Et pourquoi pas un futur Studio Job Castle ? » s’amuse Nynke Tynagel. Voulue comme une « œuvre d’art totale » (le Gesamtkunstwerk, concept romantique allemand du XIXe siècle), la Studio Job Suite expose, elle, les prestations du binôme du sol au plafond. Comme le nouveau chapitre d’un manifeste esthétique aux contours de bande dessinée géante, cette maison en trompe-l’œil catalyse les obsessions iconographiques du duo pour les motifs héraldiques et les détournements surréalistes typiques d’outre-Quiévrain, caractéristiques aussi de ses réalisations mobilières et de ses mises en scène théâtrales. À coups d’impressions numériques très haute définition sur textile et autres matériaux, les rideaux (imprimés par Exposize, un spécialiste des grands formats) arborent tulipes et autres blasons multicolores. Les sols, eux, sont couverts d’un revêtement gris en résine (réalisé par le fabricant Senso) qui imite le traditionnel parquet à chevrons. Ce motif avait déjà été utilisé pour le défilé automne-hiver 2013-2014 parisien de Viktor & Rolf, une maison de couture proche des designers. Du living à la chambre en passant par la cuisine et la salle de bains, le papier peint Grey Brick, aux deux dimensions assumées, produit par NLXL, occupe tous les murs.
Tout un symbole
Dans cet appartement au total look à l’outrage relatif, ce télescopage des couleurs et des textures ne met pas pour autant la fonctionnalité à la porte : la disposition des pièces reste classique. L’ensemble n’en est pas moins symbolique du monde de Studio Job où les œuvres de designers néerlandais méconnus tels Cees Braakman, Piet Zwart ou l’architecte (et moine !) Hans Van der Laan cohabitent avec celles des excentriques italiens Ettore Sottsass, Studio 65 et ToiletPaper (Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari) dont la présence du pouf The End suggère en creux l’état de l’union de Nynke Tynagel et Job Smeets, désormais liés par leur seule créativité.