Fondatrice et rédactrice en chef du magazine pointu de design scandinave et d’architecture intérieure The New Era, autrice du livre décortiquant l’écosystème du secteur Behind the Scenes – Stories from the Design Industry, curatrice d’expositions et ex-directrice de la Stockholm Furniture Fair, Hanna Nova Beatrice est, depuis un an, la directrice créative de Nordiska Galleriet /NO GA. Implanté dans le quartier d’Östermalm à Stockholm, NO GA, comme on l’appelle désormais, expose et commercialise, y compris via son e-shop, le meilleur du design contemporain. Suédois bien sur mais aussi, nordique et international. Sous son impulsion, NO GA vient d’ailleurs d’éditer le mobilier modulaire et les miroirs de l’architecte canadien basé à Los Angeles Willo Perron, les chaises et tables du studio milanais NM3 et la lampe 53 d’Axel Wannberg. Rencontre plus qu’éclairante avec une experte et passionaria absolue.
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NO GA : le laboratoire suédois du design contemporain
Ideat : Votre connaissance de l’écosystème du design, suédois mais aussi global, est nourrie par la pluralité de vos expériences professionnelles en ce domaine. Qu’est-ce qui vous anime particulièrement aujourd’hui ?
Hanna Nova Beatrice : La foire [Stockholm Furniture Fair, NDLR] et Nordiska Galleriet sont pour moi deux manières différentes d’atteindre un même objectif : mettre en lumière le design suédois et mieux influencer, « packager » la façon dont il est perçu aussi bien localement que dans le reste du monde.
The New Era fait la même chose. Les projets qui y sont publiés sont certes très nordiques – suédois à 60% – mais mon intention a toujours été de partager ce qu’il y a de plus avant-gardiste en Suède, en Finlande, en Norvège et au Danemark. Et notamment un design contemporain qui ne correspond pas toujours à ce qu’on appelle habituellement le « design scandinave ». Ou, en tout cas, à l’idée que l’on s’en fait. Cependant pour réussir ce qui m’anime – offrir une caisse de résonance internationale au design suédois – il faut encore souvent aujourd’hui le labelliser «scandinave ».

Ideat : En quoi les pays nordiques diffèrent-ils dans leur approche du design ?
Hanna Nova Beatrice : Si l’on compare les pays nordiques, la Suède a toujours été le producteur. Nous sommes des fabricants. Il existe ici de nombreuses entreprises spécialisées dans le contract qui ont une exceptionnelle connaissance des matériaux, proche de celle des artisans japonais. Mais à quelques exceptions près comme Hem ou Massproductions, la plupart d’entre elles ne savent pas faire de branding, et peu sont tournées vers l’exportation. Tandis qu’au Danemark, c’est l’inverse.
Ideat : Pouvez-vous nous donner quelques noms de designers ou de marques qui mériteraient d’être mieux connus hors de Suède ?
Hanna Nova Beatrice : Il y a en a beaucoup plus que vous n’imaginez et ce qui est vraiment désolant, c’est en effet que nombre de ces talents ne sont pas connus à l’étranger. Le designer et architecte d’intérieur Jonas Bohlin est assurément de ceux-ci. Il a conçu, il y a vingt ans, des intérieurs qui sont toujours aussi justes, et n’ont pas pris une ride [A Stockholm, on lui doit, entre autres, l’aménagement des restaurants Taverna Brillo, Sturehof , Riche ou Aira]. Il était donc évident pour moi de faire rentrer ses créations chez Nordiska Galleriet, à commencer par sa chaise Concrete, dorénavant produite en frêne et acier par Källemo [projet de diplôme de Jonas Bohlin à Konsfack en 1981, 1e siège avait initialement été fabriqué en acier et ciment, d’où son nom].
Plus récemment, je viens de faire également rentrer des pièces de Nick Ross, Front et David Ericsson dans le catalogue de Nordiska Galleriet. J’ai choisi de rejoindre NO GA car c’est une infrastructure qui offre vraiment la possibilité de s’adresser au consommateur final. Mon approche est d’abord de pouvoir parler au reste du monde [d’où l’édition et commercialisation par Nordiska Galleriet /NO GA au printemps dernier du mobilier modulaire et des miroirs de l’architecte canadien Willo Perron ou des italiens NM3] puis de faire mieux connaître les designers suédois à l’international. Mais il faut le faire intelligemment. Cela prend du temps.

Stockholm, village créatif où le design suédois croise la mode et la musique
Ideat : De plus en plus de designers sont également entrepreneurs, s’auto-éditent ou créent leur propre marque. Est-ce un phénomène que vous constatez à Stockholm ?
Hanna Nova Beatrice : Ici, même si nous sommes de très bons entrepreneurs en général, dès lors que l’on parle de design, plus que les entreprises, ce sont vraiment les designers suédois qui ont ce petit plus et sont moteurs. Ils organisent leur propre destin en établissant leur marque en toute indépendante. Ils financent leur structure, ne font pas de compromis, ni sur leur image, leur communication ou leurs choix de lieux d’exposition ou de commercialisation. Fredrik Paulsen en est un parfait exemple.
Ideat : Comment définiriez-vous Stockholm ?
Hanna Nova Beatrice : Pour moi, ce qui définit Stockholm, c’est l’énergie de sa communauté autour de design contemporain. J’ai vécu à Athènes et Londres et quand je suis arrivée ici il y a dix-huit ans, j’ai eu l’impression d’un grand village — mais un village en ébullition. Il était tellement facile de se déplacer à pied, de côtoyer des gens d’horizons complètement différents : design, industrie, décoration d’intérieur, mode, musique.

La scène créative a pris de l’ampleur, mais cette dimension de grand village qui lui permet justement d’exister, croître et favoriser les croisements d’univers est toujours d’actualité. All Blues [la jeune marque créée par Jacob Skragge] par exemple s’inscrit parfaitement dans cette évolution. La force des designers n’a fait que s’épanouir. Une nouvelle génération arrive, et même si la mode a réussi à trouver un écho international plus vaste, le design suédois a le même potentiel — il suffit juste de savoir comment le montrer au monde.
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