Boulevard Raspail à Paris, dans l’imposant écrin de verre et de métal conçu par l’architecte Jean Nouvel, se déploie la plus grande exposition rétrospective jamais consacrée à Graciela Iturbide, jusqu’au 29 mai 2022. Très attachée à la création latino-américaine, la Fondation Cartier pour l’art contemporain présente Heliotropo 37, sublimé par une impressionnante scénographie.
L’espace conçu comme un temple
Il est des expositions qui témoignent d’un dialogue complémentaire entre les équipes et l’œuvre exposée. Héliotropo 37 fait partie de celles-ci, dans la mesure où chaque acteur du projet a placé le travail de Graciela Iturbide au centre de sa réflexion afin de lui conférer toute sa puissance. Les commissaires d’exposition, Alexis Fabry et Marie Perrenès, se sont accordés avec l’artiste mexicaine pour présenter les photographies dans une chronologie inversée qui permet d’aborder ses pérégrinations et différentes explorations sous un angle nouveau.
D’immense panneaux verticaux recouverts d’une peau d’argile font, ici, écho à la matérialité des images. Conçue par Mauricio Rocha, architecte et fils de l’artiste, la scénographie dialogue avec les espaces de la Fondation Cartier. Ainsi, les nombreuses embrasures placées dans les cimaises permettent à la lumière de pénétrer les lieux et d’instaurer un lien entre la transparence du verre et l’opacité de la roche. S’en dégage une atmosphère propice à la contemplation qui incite le public à plonger dans les images.
La photographie comme rituel
De son enfance au Mexique, Graciela Iturbide conserve une sensibilité pour les rites et la théâtralité des fêtes populaires – sensibilité qu’elle n’aura de cesse d’entretenir au fil de ses rencontres avec les communautés dont elle photographiera le quotidien.
Dès les années 1970, elle s’initie à la photographie aux côtés de l’artiste Manuel Alvarez Bravo (1992-2002). Avec lui, elle apprend l’observation et la patience ainsi qu’une vision humaniste du monde et des êtres qui le peuplent. Son éducation, couplée à ses expériences, permet à la photographe de porter un regard presque spirituel sur ses sujets. En parcourant la planète un appareil photo à la main, elle se met au contact des populations indigènes, représentées dans les séries emblématiques Los que Viven en la Arena (1978) ou encore Juchitán de las mujeres (1979-1989). Capturer des fragments d’existence constitue, selon elle, un rituel né d’une rencontre avec un être, un évènement ou un élément à la charge symbolique puissante.
Glisser vers l’abstraction
Depuis une trentaine d’années, les humains tendent à disparaître de ses clichés. Ne reste de leur passage sur Terre que des traces. Des enseignes publicitaires, des chaussures, des maisons abandonnées ou encore des panneaux publicitaires que Graciela Iturbide photographie dès la fin des années 1990 dans le sud des États-Unis, en Inde et en Italie, avant de se tourner progressivement vers des éléments naturels.
Les premières photographies de l’exposition, constitutives de ses séries sur le jardin botanique d’Oaxaca (1996-2004) et sur un site d’extraction d’albâtre et d’onyx à Tecali (seule série en couleur réalisée en 2021 pour l’exposition à la Fondation Cartier) en témoignent. Les cactus, parfois recouverts de voiles et enveloppés par des filets, se transforment en véritables sculptures. Les blocs de pierre contrastent, quant à eux, avec les cieux et évoquent des totems. Cette apparente dérive vers l’abstraction laisse penser que l’artiste souhaite se concentrer sur la symbolique des éléments, en insistant davantage sur la matérialité, la texture et la nature des objets sur lesquels elle pose son regard.
La richesse de cette exposition permet une exploration intime du paysage émotionnel de l’artiste et invite à poser, sur le monde, un regard empreint de poésie.
> Exposition Graciela Iturbide, Heliotropo 37, du 12 février au 29 mai 2022 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain