Gerrit Rietveld est né en 1888 à Utrecht, au sud d’Amsterdam. Ébéniste de formation, il travaille tout d’abord chez son père, fabricant de meubles. A partir de 1906, il suit des cours du soir auprès de l’architecte P.J.C. Klaarhamer durant lesquels il apprend le dessin technique, ce qui développe chez lui un réel engouement pour l’art du bâti. Aussi commence-t-il en 1911 des études d’architecture, qu’il achèvera en 1919. Huit années d’études rendues nécessaires par un cursus à temps partiel afin de mener de front le développement de l’entreprise d’ameublement qu’il a fondée.
Des chaises avant-gardistes qui épousent le mouvement De Stijl
Au cours de ses études d’archi, Rietveld conçoit du mobilier avec cinquante ans d’avance sur ses contemporains : il privilégie les formes simples plutôt que les matériaux nobles et développe un style rationaliste fait de lignes droites, incongru pour l’époque. En 1917, il élabore dans cet esprit un fauteuil fait de planches de contreplaqué et de tasseaux de hêtre. En 1923, marqué par les travaux du mouvement De Stijl, il décide de le peindre dans les couleurs primaires chères au mouvement néerlandais initié par Theo van Doesburg et popularisé par Piet Mondrian. Cette seconde version est considérée comme un ready-made visionnaire et l’incarnation dans le mobilier du mouvement De Stijl. Déclinée par la suite en de multiples variations de couleurs, elle devient Die Rot-Blau à l’occasion de l’exposition du Bauhaus consacrée à De Stijl et, encore aujourd’hui, demeure un classique du catalogue Cassina.
La maison Schröder : un incubateur de créativité
Cependant, Gerrit Rietveld ne délaisse pas l’architecture pour autant. Au début des années 1920, il entreprend une collaboration avec la famille Schröder, d’influents mécènes qui donnent leur chance à de nombreux jeunes artistes. Quand Monsieur Schröder décède, sa veuve souhaite s’installer avec ses enfants dans une plus petite demeure. La construction est alors assurée par Rietveld et la Schröderhuis est achevée en 1924. Par ses formes géométriques – néanmoins marquées par une asymétrie notable – la bâtisse est novatrice au point d’être aujourd’hui considérée comme l’une des toutes premières du mouvement moderne. Pensée comme un meuble, elle se veut légère, lumineuse et ouverte grâce à de larges fenêtres qui occupent toute la hauteur d’un étage.
La maison Schröder bannit les cloisons fixes entre les pièces et propose donc un espace de vie modulable, ouvert sur le monde et les paysages de la campagne hollandaise. Du coup, Madame Schröder décide d’habiter non pas le rez-de-chaussée – comme il est alors d’usage – mais d’investir le premier étage, où d’ingénieuses cloisons amovibles permettent de s’adapter aux besoins de la famille selon l’heure de la journée. Espaces ouverts, escalier hélicoïdal, puits de lumière cubique, toiture plate, meubles encastrés ou auto-rangeants : ce joyau architectural est classé depuis 2000 au Patrimoine mondial de l’Unesco.
La Maison Schröder est aussi l’occasion pour Rietveld de concevoir une série de meubles adaptés à l’organisation de l’intérieur, comme la mythique chaise Zig Zag. Cette assise est composée de trois planches de bois formant un Z auxquelles une quatrième est adjointe afin de proposer un dossier. Visuellement, sa conception donne à la fois une impression d’instabilité, due au surplomb, et de clarté de la structure, propre au mouvement De Stijl, même si, dès 1928, Rietveld quitte le mouvement dont l’évolution le déçoit. Cependant, les formes géométriques, tout comme le minimalisme et le constructivisme restent au cœur de son œuvre.
Si la Zig Zag représente une véritable révolution esthétique au début des années 1930, sa conception technique fait également preuve de modernité. Le dossier est fixé grâce à un système de queue d’aronde tandis que les deux autres éléments sont emboîtés avec des tenons renforcés par des coins à l’intérieur des angles. Jusqu’aux années 1940, Rietveld met au point de nombreuses variantes – aussi bien au niveau des formes que des matériaux utilisés – mais; en raison de sa complexité technique, la Zig Zag n’est fabriquée en série qu’à partir de 1973. Par la suite, les meubles de Rietveld délaissent l’ébénisterie et se font plus industriels, avec l’utilisation du tube de métal (chaise Beugel) ou du rembourrage (fauteuil Utrecht).
Une architecture à l’image de ses meubles
La Schröder House est loin d’être la seule œuvre architecturale de Rietveld : il a notamment conçu le musée Van Gogh (1932) à Amsterdam – pour lequel il laisse, à sa mort, les plans du bâtiment inachevé – et différentes maisons privées qu’il élabore à partir des années 1950. La Stoop House (1951) et le Pavillon Sonsbeek (1954) (œuvre temporaire construite à l’occasion de la troisième exposition internationale de sculptures de Sonsbeek Park, et aujourd’hui reconstituée à Otterlo) renouent tous deux avec De Stijl, le temps d’une rétrospective…
Vers la fin de sa carrière, en 1956, Rietveld s’essaye à la réalisation d’un espace industriel avec l’usine de textile Ploeg. Cette dernière est l’occasion de concevoir quelque chose de nouveau et d’innovant. Son toit en dents de scie courbées permet de faire entrer un maximum de lumière naturelle tout en se démarquant des constructions de son époque. Ce projet s’inscrit dans les canons du Congrès international d’architecture moderne (CIAM), qui veut favoriser la promotion d’une architecture et d’un urbanisme fonctionnels, dont il fait partie depuis 1928.
À son décès en 1964, les critiques saluent le talent de cet ancien ébéniste qui fut l’un des premiers à s’intéresser à la production en série et à réaliser des meubles en tube d’acier dès les années 1920. Rietveld reste cet apôtre de la modernité, qui accompagna la transition de l’âge du fait-main vers celui de l’industrie.