La vocation de Frank Lloyd Wright ne doit rien au hasard… Durant ses premiers mois dans le Wisconsin auprès de parents férus d’art, sa mère couvre les murs de sa chambre de croquis de cathédrales anglaises. Toujours pour stimuler son appétence pour le bâti, elle lui achète ensuite des jeux de construction avec lesquels il crée des structures simples, lisibles… ce qui deviendra un signe distinctif de son style architectural.
Après des études de génie civil à Chicago, il trouve un stage dans le cabinet d’architecture Joseph Lyman Silsbee. Néanmoins, Wright se lasse vite du conformisme de son patron et s’en va rejoindre le prestigieux cabinet d’Adler & Sullivan, plus novateur.
C’est auprès de ce dernier qu’il prend goût à la création de nouveaux codes architecturaux. Il apprend vite et construit beaucoup. Son train de vie fastueux – il appréciait les vêtements et les véhicules coûteux –, l’amène à travailler en sous-main pour des clients privés. Cela ne plaît pas à son mentor qui le congédie en 1893.
Le père fondateur du style Prairie
Après six années passées à leur service, l’architecte se décide à ouvrir sa propre agence afin de pouvoir exprimer ses idées révolutionnaires. Il s’installe avec de jeunes confrères, tous influencés par le mouvement Arts & Crafts.
Leur volonté de rupture se traduit par l’horizontalité du bâti (pas plus de deux étages), la simplicité des ornements, la présence de balcons et de toits en surplomb grâce à l’utilisation de l’acier… Les fenêtres s’étirent en rubans et le mobilier est intégré aux cloisons. Baptisé ainsi en hommage aux plaines du Midwest, le style « Prairie School » est né.
Fasciné par l’architecture japonaise, Wright promeut en plus un mode de construction qui place extérieur et intérieur sur un pied d’égalité. Ces préceptes sont visibles dans sa maison, construite dans le quartier d’Oak Park et qui lui sert de laboratoire architectural. Ils sont officiellement mis en application dès sa première commande personnelle : la maison Winslow (1893).
Entre inspiration nippone et héritage maya
Frank Lloyd Wright construit de nombreuses résidences privées dans la région et son aura grandit. En 1909, il part pour un an en Europe et rencontre de nombreux confrères auxquels il transmet ses idées modernistes. Il influence grandement la reconstruction post-Première Guerre mondiale.
A son retour, il se lance dans la construction de bâtiments publics aux Etats-Unis, au Canada, au Japon… L’Imperial Hotel à Tokyo (1922) reste comme un de ses chefs-d’œuvre. Il reprend les lignes du style Maya dans une grande structure pyramidale aux motifs méso-américains. Il utilise principalement du béton armé pour prévenir les risques sismiques particulièrement élevés de la région.
Ce choix se révèle judicieux puisque le bâtiment résiste au tremblement de terre qui survient peu de temps après son inauguration… Wright se positionne alors comme un concepteur de talent et sa carrière, alors en perte de vitesse, reprend un élan considérable.
Il fait également construire dans son Wisconsin natal une maison-studio, la Taliesin House (1911), dans laquelle il accueille famille et stagiaires. Trois ans plus tard, un employé y met intentionnellement le feu et l’incendie voit périr 14 personnes dont la compagne de Wright et différents membres de son équipe, ainsi que son inestimable collection de gravures japonaises.
Las, il la fait reconstruire une première fois puis une seconde en 1925 après un nouvel incendie, accidentel cette fois lié à un court-circuit dans le réseau téléphonique.
À la même période, il met au point un type de construction à base de blocs en béton préfabriqués : le textile block system. Les modules évoquent à nouveau les détails des temples mayas. Cette fois-ci, Wright se sert du béton pour donner ses lettres de noblesse à un matériau nouveau. La maison Ennis, qu’il construit en suivant ce procédé, devient rapidement un modèle pour de nombreuses maisons californiennes.
Les « Usonian homes »
En 1928, pour qualifier la vision qu’il se fait de l’idéal vers lequel doit tendre l’Amérique, l’architecte invente l’« Usonie ». Ce terme, qui englobe à la fois le paysage naturel américain et la planification urbaine, sert de référent à Broadacre City, un projet de ville agricole qu’il imagine dans les années 1930 autour d’un nouveau modèle de maison individuelle : les « usonian homes ». Wright adapte leur intérieur aux évolutions sociétales américaines.
Les domestiques ayant disparu, plus besoin de caves ni de grenier… Les chambres sont étriquées pour donner plus d’espace aux pièces à vivre, décloisonnées et pourvues d’une cheminée centrale. Ces habitations ont été pensées pour être fonctionnelles et à la portée de tous.
La crise de 1929 est une véritable aubaine pour Wright. Produites en grande série car abordables, les « Usonian homes » rencontrent un franc succès. Surfant sur cette vague, Frank Lloyd Wright décide d’ouvrir une école d’architecture dans sa maison Taliesin. L’objectif est simple : il faut développer un esprit communautaire parmi les architectes et repenser le métier en créant un lien plus solide entre nature et modernité.
La Maison sur la cascade, naissance de l’architecture organique
Fort de ce nouveau manifeste, Wright affine son style en intégrant des éléments naturels à la construction. A ce titre, la Maison sur la cascade (Fallingwater, 1935) est souvent considérée comme son chef-d’œuvre. Construite en Pennsylvanie pour le magnat Edgar J. Kaufmann, elle incarne à merveille l’architecture organique où homme et nature vivent en harmonie.
Edifiée sur un rocher, la maison déploie de spectaculaires terrasses en surplomb d’une chute d’eau. Wright privilégie l’utilisation de matières locales et se plaît à jouer avec les couleurs et textures de l’environnement.
De 1943 à 1959, Frank Lloyd Wright se consacre à un projet monumental : le Guggenheim Museum à New York. Posée sur la 5e avenue en bordure de Central Park, son intérieur est pensé comme un coquillage couleur crème. On grimpe au dernier étage par un ascenseur et on admire les œuvres en descendant son immense rampe en spirale.
Avec cette icône de l’architecture moderne inaugurée quelques mois avant sa mort, l’architecte bouleverse l’organisation muséale traditionnelle. Exit les habituelles successions de galeries, en cheminant autour d’un gigantesque atrium, le parcours offre ici une fluidité inédite.
L’autre projet qui l’occupe à la fin de sa vie, c’est Taliesin West, sa résidence d’hiver à la fois école, laboratoire et centre d’architecture ouvert à Scottsdale (Arizona). Constamment remanié et agrandi entre 1937 et 1959, le vaste complexe, notamment équipé d’un théâtre et d’un pavillon de musique, est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Si le lieu accueille encore aujourd’hui le siège de la fondation Frank Lloyd Wright dédiée à la mémoire de l’architecte, l’école d’architecture fermera tristement ses portes à la fin de l’année universitaire pour raisons budgétaires.
Tout au long de sa longue carrière (1000 bâtiments dessiné, dont la moitié a été réalisée), Frank Lloyd Wright a su anticiper les problématiques liées à un urbanisme poussé à l’extrême. À l’heure d’un éveil progressif des consciences face à l’urgence écologique, il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il soit reconnu comme un modèle architectural.