Façades ajourées, lignes géométriques, jeux de lumière : Faro, la tranquille capitale de l’Algarve abrite entre ses rues ensoleillées des trésors inattendus d’architecture moderniste. Longtemps méconnu, ce patrimoine bâti au milieu du XXe siècle renaît peu à peu, défendu par une poignée de passionnés. Une redécouverte s’imposait.
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Une façade suffit parfois à brouiller les pistes. La silhouette de la Casa Gago, avec ses lignes minimalistes, ses ouvertures rectangulaires et son toit-terrasse que tutoie un palmier, a cet art de semer un certain doute géographique. Sans l’écho d’une discussion engagée en portugais sur le trottoir, on pourrait se croire quelque part en Californie face à l’une des villas modernistes de Los Angeles.
C’est pourtant dans une rue en pente douce de Faro, sur la rive sud du Portugal, que se trouve cette vaste villa sur pilotis édifiée en 1955 pour la famille Gago, revenue prospère d’une émigration au Venezuela. Aujourd’hui divisée en appartements, elle a tout gardé de son empreinte moderniste, même si elle mériterait, dans ses étages, un sérieux coup de pinceau. « Cette maison, c’est un rêve d’enfance. Quand j’étais petite, je passais tous les jours devant et je voulais désespérément l’habiter. J’ai concrétisé ce rêve », raconte Margarida Belchior, l’actuelle propriétaire du premier niveau, en poussant la grande porte pivotante du salon, qui se prolonge par une terrasse sur pilotis.
« La lumière naturelle, les hauts volumes, les brise-soleil qui conservent la fraîcheur… Cette villa est l’une des premières réalisations de l’architecte local Manuel Gomes da Costa ; elle est aussi l’une des plus emblématiques du coin », poursuit cette ancienne architecte qui a minutieusement rénové les lieux, allant jusqu’à replanter le jardin selon les plans d’origine.
Faro, ville de 67 000 habitants, est connue pour ses blanches ruelles, les îles du parc naturel de la Ria Formosa et son aéroport international. Mais la porte d’entrée de l’Algarve possède un autre visage : elle dévoile à qui sait l’arpenter l’une des plus importantes concentrations d’architecture moderniste d’Europe du Sud.
Une histoire de verre et de béton qui débute dans les années 50 quand, face à l’expansion économique, Faro a besoin de murs neufs. Un nom marque alors l’époque : Manuel Gomes da Costa. S’il fallait n’en retenir qu’un, ce serait celui-là. L’architecte (1921-2016), admirateur d’Oscar Niemeyer, a semé sa signature dans presque toutes les rues de la tranquille bourgade : bâtiments publics, logements collectifs, tours, écoles, villas…
Plus de 300 édifices portent les codes de ce travailleur insatiable : des lignes horizontales, des mosaïques d’azulejos réinterprétés en motifs graphiques, des brise-soleil géométriques, des dentelles de béton, des auvents… Rue après rue, l’œil apprend à repérer les façades et à détecter les détails. Rua 1º de Dezembro, un immeuble de verre et d’aluminium déplie sur sa hauteur une longue bande d’azulejos tout en ronds rouge, bleu et blanc, jusqu’aux pilotis abritant aujourd’hui un glacier.
Rua de Berlim, une série de villas cossues aligne fenêtres en bandeau, balcons cubiques et murs crème. À quelques pas, sur l’imposante Avenida 5 de Outubro, les façades affichent des influences très sud-américaines, avec toits plats, canopées de béton, balcons ajourés de brise-vues géométriques et couleurs pastel. À l’ombre d’un auvent, Christophe de Oliveira raconte : « Cet incroyable essor du modernisme à la portugaise relève de plusieurs miracles : d’abord, il aurait été tout autre sans les riches immigrés portugais revenus d’Amérique latine avec de l’argent et des idées. Il s’est aussi développé en pleine période de dictature, grâce à un petit groupe d’architectes qui se situaient à l’écart du système, alors que Salazar (qui imposa son autoritarisme le temps de sa mandature entre 1932 et 1968, NDLR), exerçait un contrôle sur tous les moyens d’expression artistique. Tous formés à l’école de Porto, ils ont créé une sorte d’ovni stylistique reprenant les codes du modernisme, mais adaptés à la région et à ses trois cents jours de lumière par an », résume ce Français aux origines portugaises, installé en Algarve depurencontres, désormais soutenus par la municipalité.
Lui et son épouse, Angélique, ont aussi redonné son lustre à un bâtiment du cœur historique de Faro, à quelques pas de la lagune : trois étages dessinés par Joel Santana en 1974 et transformés en appartements à louer pour voyageurs amateurs de design. Ils l’ont sobrement rebaptisé The Modernist.
La rénovation de l’immeuble à l’abandon a été confiée aux trois architectes du studio portugais PAr. « Longtemps, on l’a surnommé “le bâtiment le plus laid de Faro” ! Aujourd’hui, le regard change sur ce langage architectural, que nous avons voulu respecter et valoriser », s’amuse l’architecte Vânia Brito Fernandes, l’une des trois têtes de ce studio remarqué pour la création de la Casa Modesta, à quinze kilomètres de là.
Peu à peu, Faro réévalue favorablement les façades aux lignes droites qui côtoient les boiseries baroques de sa cathédrale. « Depuis quelques années, il est clair que quelque chose se passe : cette architecture redevient visible, la cité et ses habitants redécouvrent ce morceau de leur histoire, prennent conscience de sa singularité et de l’atout que cela peut représenter pour le tourisme. C’est beau et même incroyable à observer pour un natif de Faro comme moi. Il y a encore du chemin à parcourir, mais une multitude de petits pas font émerger l’intérêt pour ce patrimoine », se réjouit l’architecte Gonçalo Vargas, qui côtoya Manuel Gomes da Costa à la fin de sa vie et fut à l’origine de la première exposition consacrée à son œuvre, en 2009.
En 2020, la municipalité a défini un « axe moderniste » : un vaste quartier résidentiel désormais à l’abri des prédations, classé en zones à réhabiliter. Une première : « Préserver ainsi un ensemble pour sa cohérence est peu courant au Portugal, où l’on protège en général les bâtiments un par un. C’est assez inédit et l’on peut espérer que cela entraîne une série de rénovations », souligne Gonçalo Vargas.
Le chantier comme matière du rêve : de quoi projeter un nouveau futur pour ce passé de béton.
Y ALLER, SE DÉPLACER
Vols directs pour Faro au départ de Paris-Orly, Marseille, Lyon, Bordeaux, Lille et Nantes desservis par Transavia, EasyJet et TAP Air Portugal.
La ville et ses édifices modernistes sont pour l’essentiel accessibles à pied. Pour se rendre à la plage de Faro, dont la longue avenue est parsemée de quelques bâtiments typiques du genre, départs réguliers par bateau-taxi de 9 h à 19 h. Plus d’informations sur Visitportugal.com