Ezio Frigerio et les fastes de La Bayadère à l’Opéra Bastille

Pour ce ballet qui traite de l’amour contrarié, le chef décorateur et scénographe Ezio Frigerio, disparu en février dernier, fait planer sur la scène de la Bastille l’envoûtement des contes indiens. Eblouissement garanti…

Il y a des rendez-vous d’amour, des ballets où l’on va pour le décor, le cœur en liesse car on sait que l’on ne sera jamais déçu. La Bayadère en fait partie, comme Le Lac des Cygnes, Roméo et Juliette, La Belle au bois dormant… pour lesquels Ezio Frigerio a réalisé les décors.

Les décors magistraux de la Bayadère

Le scénographe Ezio Frigerio signe le décor du ballet de la Bayadère, à voir à l’Opéra de Paris
Le scénographe Ezio Frigerio signe le décor du ballet de la Bayadère, à voir à l’Opéra de Paris ©Svetlana Loboff

Pour La Bayadère qu’il a conçu en 1992, il s’est inspiré du Taj Mahal, de l’époque de l’Empire Ottoman, et des décors originaux de cette production chorégraphiée à l’origine par Marius Petipa sur une musique de Léon Minkus, et dont la première eut lieu au Théâtre Bolchoï Kamenny de Saint-Pétersbourg en 1877.

La chorégraphie actuelle a été revisitée en 1992 par Rudolf Noureev dont on connait le talent pour alterner danse de groupe et solo d’une virtuosité époustouflante. Ce dernier en donnera une lecture éblouissante un an avant sa mort. La Bayadère est un rêve d’or et de brocart, avec des moments attendus, comme celui du Royaume des ombres (acte III, scène 2), sans doute l’un des plus belles partitions du répertoire romantique, aussi éthérée que le second acte des Willis dans Giselle.

Lente procession des ballerines déambulant du fond de la scène au devant, exécutée dans une géométrie parfaite, fascinante, onirique, hypnotique. Car dans ce passage, l’étoile, c’est le corps de ballet.

Des rencontres qui ont fait sa carrière

Roméo et Juliette, chorégraphié par Rudolf Noureev
Roméo et Juliette, chorégraphié par Rudolf Noureev Julien Benhamou

Pour les décors de Roméo et Juliette, Ezio Frigerio se nourrit des grandes œuvres de la peinture italienne du Quattrocento, dessine la tonnelle des amours en s’inspirant des guirlandes des fruits et des feuillages du tableau La Vierge de la victoire d’Andrea Mantegna. « J’ai essayé de reconstruire un long et minutieux itinéraire à travers un pan de la peinture qui nous appartient si intimement que ses images n’ont cessé de gouverner notre imaginaire », disait-il.

Plus de dépouillement en revanche pour Le Lac des cygnes, où il vide la scène pour laisser toute sa place à la danse. « A l’allusion au gothique se mêlent quelques emprunts à l’Art Nouveau et aux toiles de Claude Monet, comme un signe de modernité au milieu du vieux monde », précisait-il.

Ezio Frigerio a créé de plus de cinq cents décors pour les plus grands théâtres du monde. Ses études en architecture et en peinture ont forcément conditionné un parcours qui sera marqué par des rencontres décisives : Georgio Strehler pour commencer, metteur en scène culte italien, avec lequel il réalisera de nombreuses pièces au Piccolo Teatro di Milano dès 1954 puis à la Scala de Milan.

Seconde rencontre, Rolf Liebermann, compositeur, chef d’orchestre, metteur en scène, administrateur général du Théâtre national de l’Opéra de Paris de 1973 à 1980, qui confiera au duo l’ouverture de la saison parisienne avec un mémorable Noces de Figaro donné à l’Opéra royal du château de Versailles ; Rudolf Noureev également pour lequel il fera les décors de nombreux de ses ballets et avec lequel se nouera une amitié fidèle.

Il dessinera même la tombe du chorégraphe enterré au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, et son épouse enfin, Franca Squarciapino, costumière, avec laquelle il mènera une grande partie de sa carrière. C’est d’ailleurs elle qui dessinera les costumes de La Bayadère, s’inspirant des tenues de l’ancienne Perse et des Indes.

Ezio Frigerio travaillera également pour le théâtre de l’Odéon, pour Roland Petit et le ballet de Marseille et Roger Planchon au TNP de Villeurbanne . Au cinéma, il sera nommé aux Oscars, recevra un César en 1991 pour Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau. Il s’est éteint à Lecco en février dernier après avoir vu le jour à Erba, en Lombardie, en 1930. Quatre-vingt onze ans d’une existence dédiée au rêve…

> Ballet La Bayadère, jusqu’au 6 mai à l’Opéra Bastille