Unité de lieu (les huit salons en enfilade de ce site historique), unité de temps (de 1981 à 2018), mais pas de médiums : Thomas Schütte travaille indifféremment l’argile, la cire, la céramique, l’acier, le bronze ainsi que la peinture, le dessin et la photographie. Inclassable, il incarne néanmoins le renouveau de la sculpture. « Sa capacité à innover et son incroyable inventivité font de lui un artiste de la stature de Picasso », déclare Camille Morineau, commissaire de cette rétrospective et directrice des expositions et des collections de la Monnaie de Paris.
« J’en veux pour exemple la pièce récente montrée dans l’une des cours de l’institution et qui prend le contre-pied des trois axes de cette rétrospective : la figure humaine, l’au-delà et l’architecture. Lui dont l’œuvre se caractérise par un aspect nostalgique, presque tragique, vient de créer la plus amusante des sculptures : un animal fantastique, entre le dragon, la sirène et le chien, qui crache de la fumée. » Rien de commun donc avec son Mann im Wind, un personnage en bronze englué dans un bloc de glaise, qui culmine à plus de trois mètres de hauteur.
« Selon les critères académiques de représentation de celui qui détient le pouvoir, le héros est généralement montré debout. Chez Thomas Schütte, il s’enfonce. C’est la manière qu’a cet artiste d’interroger les stéréotypes », explique la commissaire. Un Mann im Wind qui évoque aussi de façon allégorique l’échec de l’homme, aliéné, isolé et vulnérable, à influer sur le cours de l’Histoire. Une leçon apprise auprès de Gerhard Richter, son professeur à la Kunstakademie de Düsseldorf, qui lui a transmis son intérêt pour l’Histoire, justement, le politique et, plus largement, le rôle de l’art dans la société.
« Mes œuvres ont pour but d’introduire un point d’interrogation tordu dans le monde », aime répéter Thomas Schütte. Pari gagné : souvent, elles déconcertent autant qu’elles troublent. Dès l’âge de 19 ans, en 1973, l’artiste réalise des maquettes de projets de construction. « Ce qui le passionne, c’est le rapport entre l’infiniment grand et l’infiniment petit », ajoute Camille Morineau. Certains de ses travaux sont de la largeur d’une main, d’autres, comme Kristal II, une construction à l’échelle 1:1 inspirée de la forme asymétrique de ce verre précieux, relèvent plutôt de l’architecture.
Comme le lieu d’accueil de quinze mètres de diamètre que Thomas Schütte s’apprête à édifier à Krefeld (Rhénanie-du-Nord–Westphalie, en Allemagne), dans le cadre du centenaire du Bauhaus, après avoir déjà supervisé l’édification de dix bâtiments fonctionnels, de la maison de vacances à un pavillon de thé. Miniatures ou grandeur nature, « dès le début, tout est là. Le reste n’est que déclinaison et évolution des dimensions ; ce qui induit la transformation de la forme, sa simplification avec des effets de zoom ou de pixellisation, même si le mot est impropre. À la Monnaie sera présentée pour la première fois une vitrine qui contient les sources de Thomas Schütte : collages ou objets modelés… Un répertoire de formes, sorte de Boîte-en-valise de Marcel Duchamp, qui révèle le caractère prospectif de son travail », précise la commissaire.
C’est l’année de l’obtention de son diplôme, en 1981, que Thomas Schütte crée Mein Grab, la pièce la plus ancienne de l’exposition. Cet ensemble composé d’une maquette, portant la date du 25 mars 1996, et d’une gravure représente sa propre tombe. « C’est à la fois son autoportrait en artiste mort et une vanité, ce genre qui illustre le passage du temps en histoire de l’art. Sa réflexion peut prendre des aspects différents : masques en céramique émaillée, aquarelles de fleurs fanées, urnes funéraires… Peut-être faut-il également considérer ses maquettes comme des mausolées ? » Fin du troisième acte.
> « Thomas Schütte. Trois actes ». À la Monnaie de Paris (VIe), jusqu’au 16 juin. Tél. : 01 40 46 56 66.