À la MEP, l’ensemble des autoportraits de l’artiste camerounais Samuel Fosso est dévoilé dans une exposition rétrospective haute en couleurs. Plus de 300 tirages sont rassemblés et disposés sur les murs des deux galeries de l’hôtel particulier. Parmi eux, des photographies anciennes et inédites, ou encore d’autres plus emblématiques de son travail sont proposées. En émane un dialogue complémentaire qui ouvre également une réflexion sur les normes identitaires et ses représentations.
« Avec Studio National vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître »
C’est à l’âge de 13 ans que Samuel Fosso (1962-) – originaire du Cameroun et survivant de la guerre civile au Nigéria –, débute sa carrière photographique. Dans son propre studio, il répond aux commandes de clients venus pour des photographies officielles, des portraits de groupe ou encore pour immortaliser des événements de vie. Lorsque la nuit tombe, il se met en scène et capture son corps pour terminer les pellicules entamées dans la journée.
Véritable caméléon, Fosso s’inspire des magazines de pop culture mis à disposition par des membres des Peace Corps mais aussi du style vestimentaire de musiciens africains comme Prince Nico Mbarga, pour inventer de nouvelles subjectivités. Seul face à la caméra, c’est un théâtre affranchi de toute règle de représentation qu’il met en scène en devenant tour à tour pop star, karatéka, père de famille… Pensé comme une conversation entre travaux personnels et professionnels, ce premier étage propose en parallèle une sélection d’images sauvées du pillage de son studio et jamais montrées auparavant.
Performer l’autre, se raconter soi
Si l’œuvre de Samuel Fosso n’est pas sans évoquer celle de Cindy Sherman, c’est qu’à l’instar de la photographe américaine, il déploie une pluralité d’identités à travers ses autoportraits et s’inscrit ainsi dans la tradition narrative de la photographie contemporaine. Son sens accru du détail lui permet une perpétuelle invention et réinvention de lui-même. Avec l’emblématique série Tati réalisée en 1997 à l’occasion des cinquante ans du magasin, il semble atteindre le paroxysme de ces procédés en réalisant onze autoportraits avec les vêtements et accessoires de cette boutique historique.
De la bourgeoise au rocker en passant par le pirate, Samuel Fosso interprète des personnages archétypes en dépassant toutes les frontières et fantasmes qui gravitent autour de ces figures. Bien qu’il incarne des protagonistes de prime abord éloignés de sa propre individualité, le photographe est en réalité le personnage principal de ses œuvres qui fait part de ses expériences aux visiteurs. Certaines séries, comme Mémoire d’un ami (2000), Le rêve de mon grand-père (2004) ou encore Allonzenfans (2013), portent une trace mémorielle forte qui témoigne de la façon qu’a l’artiste de s’inscrire dans le monde et de rendre hommage à celles et ceux qui l’ont accompagné dans sa construction identitaire.
Dévoiler l’invisible
Le travail de Samuel Fosso vient également questionner les représentations issues de l’imaginaire collectif des Occidentaux à l’égard des personnes originaires de pays africains. Qu’il s’agisse du cliché Le Chef qui a vendu l’Afrique aux colons (1997, série Tati), de la série African Spirits (2008) ou encore de Black Pope (2017), Fosso révèle la part d’invisibilisation qui persiste sur celles et ceux qui ont la peau noire. A-t-on déjà vu un pape noir ? Connaît-t-on du bout des doigts le nom des personnalités historiques issus de cette diaspora ? Comment sont-elles représentées ? Ces questions, le photographe nous les pose en filigrane à travers ses autoportraits dans lesquels il va jusqu’à adopter l’attitude la plus fidèle des personnages qu’il interprète.
Bien plus qu’une simple mise en lumière de la capacité de Samuel Fosso à se métamorphoser sous toutes les coutures, cette exposition propose une réflexion sur le pouvoir qu’a l’image de porter un regard critique sur les systèmes de représentations dominants.
> L’exposition Samuel Fosso est visible jusqu’au 13 mars à la Maison Européenne de la Photographie.