Aux origines du luxe
L’exposition « Luxes » au MAD Paris questionne la notion de luxe. À l’origine, il y a une étymologie éclairante, bien que sujette à des controvers. Longtemps, le luxe a été assimilé à son homonyme latin, lux, autrement dit « lumière ». Sa source remonte plutôt à luxus, substantif qui évoque ce qui est séparé, démis, déplacé. Dès l’Antiquité gréco-romaine, cette définition brouille les pistes. Signe distinctif du rang princier, expression du sacré ou encore débauche des barbares, que représente réellement le luxe ?
Ce qui est sûr, c’est que les civilisations gréco-romaines lui accordent d’emblée une place éminente. En témoigne, dès les premiers pas de ce parcours chronologique et thématique, un rython d’argent à la tête de bélier, datant du VIIe siècle avant J.C. A côté de ce vase rituel, on découvre la vaisselle d’apparat du trésor de Boscoreale, découvert près de Pompéi. Autre pays, autre temps, autres mœurs : au XIIIe siècle en Colombie, des ornements de nez en or amènent de l’éclat à une parure tribale.
Cent objets aux mille facettes
La découverte s’articule autour de cent œuvres incarnant le luxe à un moment-clé. On oscille entre éclairage civilisationnel et écho contemporain. « Elles dévoilent, au-delà de l’Histoire, des résonances qui épousent les problématiques les plus fondamentales de nos sociétés », expose le directeur du Musée des Arts Décoratifs dans le catalogue de l’exposition. Et Olivier Gabet d’énumérer « l’expression d’une sensibilité et d’un goût, le rapport à la spiritualité et au sacré, le sens de la communauté, la conscience environnementale et écologique, la consommation, les rivalités économiques, le sentiment d’appartenance, l’identité ».
Au détour du parcours, on découvre des pièces inattendues, nous transportant ainsi à une époque où le temps libre était un luxe. Songez par exemple au Moyen-Age, quand régnait le servage. Les loisirs étaient l’apanage des privilégiés. Leurs jeux et leurs distractions étaient alors conçus dans des matières nobles. Ici, un tarot dessiné à l’encre, peint, doré, argenté et estampé. Là, un coffret de jeu marqueté en ébène, nacre et ivoire. Le savoir, aussi, a bénéficié de cette opulence, comme en témoigne une petite rotonde digne d’un cabinet de curiosités scientifiques.
Une évasion de la table au voyage
Quintessence du luxe français, les arts de la table ne déméritent pas. L’expansion des empires coloniaux épice les menus. Aussi rares que chers, des produits nouveaux demeurent d’abord réservés à une élite. Celle-ci met les petits plats dans les grands pour accueillir ces mets raffinés. Le chocolat, le thé ou encore le café sont servis dans une vaisselle sophistiquée, en porcelaine de Sèvres ou en argent. Avec des bulbes qui s’échangent également à prix d’or au XVIIe siècle, les tulipes rejoignent ces « denrées » précieuses. D’où la floraison de « tulipières » : en faïence de Delphes, ce vase sur mesure pouvait atteindre deux mètres…
Dans le sillage de ces échanges commerciaux, le début du XXe siècle appelle les connaisseurs libres à prendre le large et à découvrir le monde. Une invitation au voyage qui mobilise l’intérêt général avec l’ère des paquebots. Leur personnel est aux petits soins pour la clientèle fortunée. Sur terre, le train et l’automobile se prennent de vitesse, bientôt concurrencés par l’avion. Surnommée la « reine de la route » dès 1925, une Hispano –Suiza H6 arbore ce confort à longueur de courbes lustrées, habillées de cuir et de bois. Toujours plus élégants, les bagages bénéficient de cet engouement pour la mobilité et stimulent l’inventivité des grandes maisons. Louis Vuitton imagine ainsi une malle-cabine uniquement dédiée aux souliers tandis que Goyard conçoit une fabrication sur mesure pour le Duc de Windsor.
De salon en salon, une flânerie d’excellence
Dans cet espace-temps, le luxe oscille entre extravagance et dépouillement, démesure et épure. Exceptionnellement ouvert au public, le Salon 1900 dévoile au public des boiseries et vitrines pleines de parures et bibelots. Commandé par le Musée pour l’exposition universelle de Paris, ce dernier a toujours été dédié aux arts décoratifs français. Ce splendide décor déploie des boiseries en platane d’Algérie et des tentures de soies ornées de motifs floraux. A l’époque de la création du salon (vers 1900), l’Art Nouveau est florissant. Le beau exalte la nature.
Dans cet espace, la pièce-phare est l’une des premières créations de l’illustre firme vénitienne Cappellini-Venini, un lustre en verre soufflé porté par une structure en métal et bois.
D’une opulente extravagance au luxe du rien
À l’aube des années 1930, l’Art Déco s’épanoui pleinement. La reconstitution d’une pièce de la maison de la baronne de Rothschild illustre l’extravagance des intérieurs de l’époque. En palissandre, en galuchat ou encore en ivoire, les matériaux rivalisent de sophistication et de savoir-faire. Complice de Jeanne Lanvin – fondatrice de la maison de haute couture Maison Lanvin – le décorateur Armand-Albert Rateau fait montre de cette élégance éblouissante dans son propre appartement ; pour preuve, un somptueux paravent à huit feuilles.
La proposition de Jean-Michel Franck renverse radicalement cette opulence et l’imaginaire qui l’accompagne avec sa marqueterie de paille. L’usage de matières plus communes révèle la subtilité du travail artisanal, avec une sensualité renouvelée. Cet « étrange luxe du rien », apparaît comme le paradoxe de la modernité. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que les industries du luxe ont succédé aux marchands-merciers pour massifier la production en faveur d’un consumérisme global ? La question reste ouverte, philosophe-t-on devant une haute-couture aux extrémités conceptuelles. Pendant que Jacquemus choisit le lin pour un corset, fibre écologique par excellence, la chinoise Guo Pei propose un bijou de robe à traine, taillée dans la soie, cousue de fils d’or et d’argent et accessoirisée de Swarovski.
Futur du luxe : réflexions et collaborations
« À une époque où les maisons de luxe semblent avoir tant à dire sur l’art, la culture et les musées, il se peut que nos institutions aient aussi quelque chose à dire sur le luxe et sa place dans l’art et la civilisation », se félicite Olivier Gabet. Pour déployer cette éclatante réflexion, le directeur du Musée des Arts Décoratifs n’a pas seulement puisé dans les collections de l’institution. Il a aussi fait appel au Musée du Louvre, au Musée du Quai Branly et à des collectionneurs privés.
Venue de Suisse, la création du designer Marc Newson pose d’entrée les termes de ce dialogue, tout en ouvrant les horizons à la sortie de ce voyage réflexif. Son sablier en verre où s’écoulent des nanobilles d’or évoque le temps qui passe : une relativité et un luxe éternels.
Exposition « Luxes » au MAD Paris jusqu’au 18 juillet 2021.
Ouverture exceptionnelle jusqu’à 19h le week-end !