Dans son atelier situé à Teià, en Catalogne, la sculptrice Berta Blanca T. Ivanow esquisse de ses mains habiles des formes tantôt voluptueuses, tantôt énigmatiques, qui font des mères une figure centrale.
Un parcours inspirant
Originaire de Barcelone, la passion de Berta Blanca T. Ivanow pour le corps humain la pousse à prolonger ses études – commencé deux ans plus tôt à la Central Saint Martins à Londres – en design de vêtement grâce à l’obtention d’une bourse. C’est après sa rencontre avec l’artiste Miquel Barceló – qui lui transmet sa passion pour l’art sculptural – que Berta décide de partir, la même année, étudier la peinture figurative et la peinture abstraite à l’Art Students League. Là, elle sera chaperonnée par le sculpteur Barney Hodes et la peintre Pat Lipsky.
A la suite de son périple new-yorkais, l’artiste rejoint l’Italie en 2015 pour y apprendre la technicité de l’argile à l’Académie d’art de Florence : «Mon intuition et mon profond intérêt pour ce matériau m’ont ensuite guidée vers la campagne catalane où j’ai appris pendant un an la céramique et la fabrication de l’émail avec une vieille dame, nommée Dolors.» Un an plus tard, la sculptrice se voit décerner une bourse de sculpture de la Fundació Güell qui lui permet d’exposer son projet Mujer Vacio, au Palau Güell, en Espagne. En parallèle de la sculpture, Berta Blanca T. Ivanow s’est lancée dans la réalisation de vidéos artistiques avec la création du studio Omotesando.
L’éveil des sens par le toucher
Les surfaces lisses de certaines de ses créations – notamment celles en savon aux couleurs bleu azulete coco et lavande – appellent à les caresser avec délicatesse. Éveiller le toucher, voilà l’ambition de Berta Blanca T. Ivanow à travers son exposition : «Corps Messagers est différente de mes précédentes expositions, en ce que j’ai voulu y apporter l’élément performatif. Les œuvres acquièrent tout leur sens grâce au geste humain. J’avais envie d’offrir une seconde vie à l’œuvre, afin qu’elle communique sa voix intérieure avec plus de force.»
L’artiste estime que ses sculptures créent une symbiose entre la réalité et le spiritisme. Dans la culture aborigène, le totémisme signifie l’adoration d’une culture mais aussi d’un être : «Par la représentation d’animaux et d’êtres surnaturels, ils mettent en scène des thèmes tels que la métamorphose intérieure, la fertilité, la foi, l’intuition, la sagesse ancestrale, l’érotisme, la guérison chamanique.»
Corps Messagers est donc une ode à la féminité : «La mère est un battement de cœur constant qui bat au plus profond de ces corps d’argile. Une sphère de boue qui abrite la vie en son sein.». La sublimation du féminin sacré a tout son sens ici. Notre esprit vacille entre les multiples interprétations que l’on peut se faire des œuvres abruptes de l’artiste.
Terre-mère
Faisant référence à la fois à la maternité, à l’intimité et à la vivacité, l’art de Berta Blanca T. Ivanow est charnel et indomptable. Lors du vernissage de l’exposition, l’érotisme était palpable. Une jeune femme, nommée Alicia, a jeté son dévolu sur l’œuvre L’Oreille, sculptée dans un bloc de savon : «Elle a plongé ses mains dans le bol d’eau et s’est immergée dans une mer de caresses, en transe, ses mains dansaient et érodaient la sculpture. Laissant son empreinte dans la pièce.»
«C’est par la fissure que la lumière filtre et nous devons pénétrer ces fentes pour pouvoir naviguer dans les profondeurs, et parvenir au fondement ultime des choses.» ajoute l’artiste. Sur les courbes de sa céramique en grès Bérénice – en référence à l’épouse du roi égyptien Ptolémée III -, quelques fissures symbolisent les blessures passées dont on tire des enseignements. La sculpture Bérénice est une guerrière et le crin de cheval apposé en son sein rappelle la mythologie des Amazones.
Ivanow a-t-elle pour objectif de nous montrer la beauté de l’imperfection ? «Au fil des années et en cultivant une patience intérieure, j’ai réussi à comprendre qu’il ne faut pas chercher ce que nous appelons la perfection, car elle réside justement dans l’imparfait. Dans l’inachevé, dans le geste sincère, dans la forme ouverte, dans la figure incomplète.»
Un retour aux valeurs primaires
A peine entrée dans la Sainte Anne Gallery, les sculptures appellent à la réflexion et se découvrent sur un air de violon. Au premier étage, le court-métrage poétique, «L’Invisible en mouvement, de la photographe Alba Yruela apporte un autre regard sur l’art de Berta Blanca T. Ivanow. Celui d’un retour aux sources : «C’est un regard sur le passé ou peut-être sur l’origine, sur les vérités les plus simples et les plus primaires. Un regard sur notre nature, sans rien imposer, avec cette authenticité qui se montre sans hésitation.»
La poétesse, Carine Valette, répète, dans cette vidéo, quatre couleurs primaires – le brun, le crème, le noir et le beige – propres aux créations de la sculptrice. «Au cours de mes voyages, j’ai collecté de l’argile provenant des pays que je visite. Du Sénégal, j’ai ramené des argiles aux tons orange et rouge très intenses. Lors de promenades en montagne, j’ai trouvé des argiles moins ferrugineuses et donc plus claires : beiges et crèmes. Et le noir fait toujours son apparition, il vient du bois qui brûle.» affirme Berta Blanca T. Ivanow.
Pour la cuisson de ses poteries, la créatrice utilise plusieurs techniques de cuisson, alternant entre le four à fumée (le raku, une méthode japonaise qui consiste à sortir une pièce d’un four à forte chaleur et lui faire subir un refroidissement post-cuisson) et la cuisson céramique en fosse. «Ma pratique est basée sur l’exploration de différentes techniques de cuisson qui ont pour dénominateur commun les quatre éléments de la culture occidentale : le feu, la terre, l’air et l’eau.» ajoute l’artiste. Ces trois méthodes de cuisson laissent place à une certaine liberté de création : «Ce n’est pas moi qui décide, ce sont les flammes, la température de l’environnement, c’est la sculpture elle-même qui dicte son destin.»
L’artiste prépare prochainement une performance au musée d’art contemporain de Barcelone, le MACBA, en collaboration avec la designer Km by Lange : «Le spectacle s’intitule Zemlia, un mot ukrainien qui signifie « Terre ». Ce sera une installation, éphémère avec seulement deux éléments : mon corps et 60 kg d’argile brute.»
> L’exposition «Corps Messagers» de Berta Blanca T. Ivanow du 3 février au 26 mars 2022 à la Sainte Anne Gallery. 44, rue Sainte Anne, 75002 Paris. Sainteannegallery.com
