C’est un anniversaire que les musées du quartier des arts de Lausanne, Plateforme 10, en Suisse, célèbrent cette année en grande pompe. À l’occasion des 100 ans de la publication du manifeste surréaliste, l’ensemble muséal de la ville propose dans ses trois institutions plusieurs projets mettant ce mouvement artistique à l’honneur. Le MUDAC – Musée Cantonal de Design et d’Arts Appliqués – ouvre le bal en accueillant une exposition conçue par le Vitra Design Museum, « Objets de Désir : Surréalisme & Design ».
À lire aussi : Plongée dans l’univers d’Ingo Maurer, poète de la lumière
Une exposition à la croisée des mondes
Mêlant mobilier, art, photographie, vidéo, mais aussi mode et créations hybrides d’hier et d’aujourd’hui, cette exposition propose une plongée inédite et interdisciplinaire dans ce mouvement de pensée. Les objets s’accumulent dans une scénographie qui enveloppe le visiteur dans un univers pluriel, où des peintures agrandies de Salvador Dali (904 -1989) font écho à des pièces de mobilier pensées par Gae Aulenti (1927 – 2012), Ingo Maurer (1932 – 2019), ou encore Ray Eames (1912 – 1988). Pour nous parler de cette exposition qui efface les limites entre les disciplines, rencontre avec Marco Costantini, directeur du MUDAC.
IDEAT : Avant toute chose, pouvez-vous nous raconter la genèse de votre collaboration avec le Vitra Design Museum ?
Marco Costantini : Nous avions pour projet initial de mettre sur pied une exposition consacrée à l’art verrier et au surréalisme en cette année anniversaire. Mais il nous fallait lui trouver un pendant, un second volet, qui nous plongerait dans cet univers à travers un prisme différent, allant au-delà du verre. Cette exposition conçue par le directeur du Vitra Design Museum, Mateo Kris, était idéale pour nous permettre d’articuler ce dialogue entre les différents médiums et disciplines. C’est une approche qui se trouve au centre du travail que nous effectuons avec les institutions de Plateforme 10. Au-delà d’un mouvement, nous cherchons à parler d’une époque, et dans le cas du surréalisme, de la façon dont cette philosophie a traversé les médiums et les disciplines.
IDEAT : Quelle histoire cette exposition raconte-t-elle ?
Marco Costantini : Avant toute chose, il faut préciser qu’il s’agit d’une exposition très dense ! « Objets de désir : surréalisme & design » gravite autour d’une idée centrale, celle de la résonance et des échos qui existent entre le surréalisme dans les arts visuels et son influence sur les univers du design et des arts appliqués, allant jusqu’à la décoration d’intérieur. En réalité, cette exposition vient démontrer la manière dont les idées passent d’un médium, d’un monde, à l’autre. Comme nous le savons, tout a commencé avec la littérature. Puis cette idéologie, ancrée dans un désir de liberté, a inspiré des peintres et des créateurs venus de différents univers. C’est ce que nous expliquons au public ici, l’exposition mêlant des reproductions de tableaux de Salvador Dali à des objets de mobilier, en passant par des photographies d’intérieurs pensés par Le Corbusier. Mais nous allons plus loin, en exposant également des créations contemporaines qui démontrent que cette idéologie, ce désir de liberté dans la création, est encore profondément ancré chez de nombreux designers.
« Le design va bien au-delà de l’objet »
IDEAT : Comme vous l’expliquez, les frontières entre art et design sont ici brouillées, le mobilier se mêlant à des agrandissements de peinture, ou encore à du vêtement, avec par exemple la présentation d’une robe d’Iris van Herpen. Est-ce également une façon de montrer que le design est bien plus que de l’objet ?
Marco Costantini : L’idée que la création au sens général détient une certaine porosité est primordiale dans l’approche de Mateo Kris et dans celle du MUDAC. Il est impossible de dire que le design, par exemple, ce n’est qu’une chaise. Car la réflexion va bien au-delà de cela, de l’objet, de la fonction. Il est question de la façon dont les idées façonnent le monde, et le design étant également une idée, il participe lui aussi à ce façonnage. Dans nos expositions passées nous avons très souvent incorporé des pièces de disciplines différentes pour démontrer que certains concepts, certaines visions, sont en réalité présentes partout. Cette exposition pousse ce projet encore plus loin, invitant directement les médiums et les disciplines à dialoguer dans un espace commun, les créations à converser les unes avec les autres dans une approche pluridisciplinaire.
IDEAT : Quelles sont les pièces phares de cette exposition ?
Marco Costantini : Nous comptons beaucoup d’objets emblématiques, mais parmi ceux-ci je citerais tout d’abord le fauteuil créé par Frederick Kiesler (1890 – 1965) en 1942 pour la galerie new-yorkaise de Peggy Guggenheim. C’est un objet en bois de forme organique, qui servait de fauteuil, mais pouvait aussi être converti en socle, en piédestal, en étant déposé sur la tranche. C’est une pièce très importante car il s’agit du premier exemple de mobilier de musée dédié à être exposé.
Un autre objet de design fort est sans équivoque le fauteuil Bouche, inspirée par Dali, et dessinée par Studio65. Ici nous retrouvons en un seul objet différents thèmes récurrents du surréalisme : l’érotisme, la femme fatale, des codes directement inspirés par ce mouvement. Enfin, l’exposition se termine sur une série d’objets très intéressants imaginés par le duo Anthony Dunne et Fiona Raby. Il s’agit d’un projet de design spéculatif datant de 2013, mais dans lequel nous retrouvons des idées et des formes n’étant pas étrangères au mouvement artistique passé. Ils tentent d’imaginer les objets de demain, et se donnent une certaine liberté dans leur acte créatif, rappelant sans aucun doute la philosophie surréaliste qui continue encore d’influencer les designers, cent ans plus tard.
> Exposition « Objets de désir : surréalisme et design », jusqu’au 4 août au MUDAC, à Lausanne. Informations ici
À lire aussi : Le beau du mois : le quotidien sublimé et Martin Parr qui pique un fard