L’une capture des images poétiques et instinctives, l’autre les construit à partir d’un langage gestuel quasi théâtral. La Fondation Pernod Ricard et le BAL présentent respectivement le travail de Katinka Bock et de Joanna Piotrowska, deux artistes dont les pratiques distinctes interrogent les effets du réel sur la vie. Visite de deux expos photo qui subliment les corps, à voir en ce moment à Paris.
Poésie de l’intime et du quotidien
Pour la première exposition uniquement consacrée à son travail photographique, qu’elle qualifie de « périphérique » à l’ensemble de sa pratique, la sculptrice allemande Katinka Bock investit la Fondation Pernod Ricard dans une scénographie très recherchée.
Intitulé « Der Sonnenstich » (insolation, en allemand), en référence à la photographie qu’elle considère comme une « piqûre de soleil », l’accrochage présente une soixantaine de tirages.
À la manière de « notes visuelles quotidiennes », ceux-ci sont pris spontanément, presque à la volée. Le procédé argentique utilisé par l’artiste instaure quant à lui une relation à l’image lente et hasardeuse.
En résulte une certaine ambivalence qui rend compte du regard que Bock porte aux objets, à l’espace et aux corps.
Photographiés par fragments, ils deviennent des sculptures quasi impersonnelles quand la peau, qu’elle capture par exemple à la sortie du lit, se fait l’empreinte sensible et malléable de son environnement.
L’approche de l’espace, très mûrie, donne ici lieu à de grands panneaux suspendus aux faces contrastées. D’un côté, le tissu texturé et mat offre un support chaleureux aux séries d’images ; de l’autre, l’aluminium froid et réfléchissant les souligne intensément.
Les plinthes en céramique conçues pour ponctuer et structurer la zone d’exposition viennent, elles, résonner avec la pratique de la sculpture de la plasticienne, en filigrane de toutes ses prises de vue.
> « Katinka Bock. Der Sonnenstich ». À la Fondation Pernod Ricard, 1, cours Paul-Ricard, 75008 Paris, jusqu’au 29 avril. Tél. : 01 70 93 26 00. Fondation-pernod-ricard.com. L’une des deux expos photo qui met en lumière les corps en ce moment à Paris.
Quand l’image vaut mille mots
Au croisement de la photographie et de la performance, la pratique de l’artiste polonaise Joanna Piotrowska interroge les rapports de pouvoirs existant entre des êtres qui occupent le même espace.
Le BAL lui consacre une exposition qui présente trois de ses séries emblématiques et des œuvres inédites, desquelles se dégage une ambiance déconcertante.
Les corps des modèles qu’elle capture, en tension tantôt par pression, tantôt par éloignement, sont mis en scène dans des situations étranges, presque caricaturales.
Généralement pris dans la sphère domestique, ses clichés agissent comme des miroirs réfléchissant la complexité des relations humaines, qui oscillent entre liberté et oppression.
La série « Frantic » (2016-2019), évoquant les cabanes qu’assemblent les enfants, interroge par exemple la fragilité de la maison elle-même, lieu chargé d’émotions et de souvenirs.
Suggérant aussi les habitations de fortune des sans-abri, ces représentations de constructions faites de couverture et de carton intensifient la portée politique du propos.
Dans un milieu censé protéger, est-on réellement en sécurité ? Avec « Self-defence » (2014-2015), l’artiste aborde également cette notion à travers les postures de jeunes femmes, inspirées de manuels illustrés d’autodéfense et mises en relation avec la production théorique de la psychologue féministe Carol Gilligan.
Grâce à des compositions travaillées, Joanna Piotrowska institue un puissant langage corporel qui supplante les mots.
> « Joanna Piotrowska ». Au BAL, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris, jusqu’au 21 mai. L’une des deux expos photo qui met en lumière les corps en ce moment à Paris.