Avez-vous l’impression d’être attendu au tournant ?
Sebastian Wrong : Ma tâche est de réussir à rendre à nouveau notre label pertinent. Bien des choses ont changé en douze ans… C’est comme si on était en face d’une image en mouvement. Rien n’est prémédité, nous travaillons sur ce qui peut provoquer le désir. C’est une démarche passionnelle. En même temps, le mobilier que nous créons n’est pas typé « à la mode ». Il est là pour durer.
Le nouveau label s’est-il affranchi du passé ?
Non, il n’est pas totalement nouveau car son histoire demeure très importante. Durant ses treize premières années, la marque a édité plusieurs pièces iconiques, qui restent pertinentes. Il nous faut désormais dépasser ce noyau de créations.
À quoi doit faire attention une marque qui revient sur le marché ?
Je respecte la vision et les souhaits des nouveaux propriétaires de la société. Les exigences commerciales sont également capitales. Un juste équilibre est à maintenir entre tous ces facteurs. Mais au fond, le plus important, c’est l’esprit et la passion. La création ne doit pas étouffer sous un excès de contrôle. Je me battrai toujours pour la liberté de prendre des risques. Cela dit, les risques aujourd’hui sont plus calculés qu’auparavant.
Vous parlez d’intuitions, mais n’attend-on pas du D.A. qu’il soit « carré » ?
Si, bien sûr, mais si les choses ne tiennent pas dans un carré, c’est tant mieux ! Ce que j’essaie de promouvoir, c’est d’abord la subtilité du design. Les histoires derrière chaque objet m’importent beaucoup. Ce n’est pas simplement du fun. Fun, nous l’avons davantage été auparavant : nos shows étaient extravagants, beaucoup d’énergie était dépensée pour faire du spectacle autour de projets… spectaculaires ! Depuis, les produits sont devenus plus subtils et discrets. C’est aussi la conséquence de ma propre évolution et d’une certaine fatigue devant tout ce design qui s’amoncelle dans un marché saturé.
Ce design « spectaculaire » ne relevait-il pas d’une excentricité typiquement britannique ?
Je ne sais pas vraiment ce qu’est le design britannique… D’autant qu’aujourd’hui, dans notre première collection, le seul Anglais, c’est moi ! Nous avons un Italien, un Allemand, un duo de Français et un Suisse. L’idée de cette collection, c’est simplement de réaliser des pièces qui offrent des points de vue sur le design, des pièces expressives quand bien même elles sont discrètes. Au fond, si ce mobilier a quelque chose de britannique, et plus précisément de londonien, c’est parce qu’il est éclectique, culturellement divers, risqué, éventuellement excentrique. Bref, qu’il n’a pas peur de faire du bruit.
Qu’est-ce qui symbolise selon vous le côté outsider de la marque ?
La table Aqua de Zaha Hadid, et la collection « The Crate » de Jasper Morrison. Deux projets aux antipodes l’un de l’autre et très éloignés de tout consensus. Il n’y avait à la base aucun souci commercial ; la liberté de créer était totale. Nous avons donné aux designers une vraie plateforme d’expression. Qui d’autre que nous aurait permis à Jasper Morrison de faire cela ?
Jasper Morrison en designer proscrit, vous exagérez !
Pourtant, la collection « The Crate » (2007) était bel et bien un projet radical qui a suscité la controverse tout en constituant une brillante démonstration de design. À partir de cette « caisse » en bois, toute une collection est née. Depuis son lancement, des changements culturels ont opéré dans le design, l’art, la mode et l’esthétique. Tout est devenu plus éclectique et mélangé. Si aujourd’hui, les gens apprécient mieux cette collection, c’est qu’elle a passé l’épreuve du temps.