Vous vivez et travaillez ensemble. Les couples célèbres de l’histoire de l’art ont souvent une vie mouvementée, fusionnelle. Quel genre de couple êtes-vous (@formento2) ?
BJ : Richeille est ma meilleure amie et mon amante, ma jumelle psychique, ma raison d’être… Dans la vie comme dans le travail, elle incarne la liaison la plus excitante et la plus sensuelle dont j’aurais pu rêver et mon admiration pour elle est sans limites. Richeille est au centre de mon existence et de mon être.
Richeille : Nous vivons et respirons le processus créatif l’un avec l’autre et l’un pour l’autre. Dès le deuxième jour de notre collaboration, nous avons réalisé que nous devions vivre ensemble à plein temps. C’est dans l’exercice de la créativité que nous avons appris et que nous continuons à mieux nous connaître, dans cette recherche commune sur le passé et sur l’avenir.
Comment expliquez-vous cette complémentarité parfaite entre vous, tant du point de vue personnel que professionnel ? Mariés trois mois après votre rencontre, quelles sont les raisons objectives de ce coup de foudre ?
BJ : Je pense que, quand la création est à ce point au cœur de l’existence quotidienne d’une personne, celle-ci ne peut être attirée que par d’autres artistes. Depuis le jour béni de notre rencontre, nous avons tout de suite entamé une relation amoureuse. J’ai ressenti pour Richeille une admiration esthétique : pour sa créativité, pour sa passion sans concession, son style et sa beauté intérieure autant qu’extérieure. Il est très rare de pouvoir vivre et travailler ensemble en bonne intelligence. Mais dans notre cas, il n’y a pas de problème d’ego, l’un est la continuité de l’autre et notre collaboration est une déclaration d’amour. Au centre de tout trône la création.
R. : C’est très précieux de savoir que l’on peut grandir en tant qu’individu avec l’aide de son compagnon. Nous l’avons senti dès le début et nous avons tout fait pour ne pas laisser échapper cette chance. Voilà où nous en sommes, treize ans plus tard, meilleurs et plus forts grâce à cela je pense.
Avez-vous toujours voulu être photographes ?
R. : Ah non ! J’ai toujours eu la tête bourrée d’idées et d’images, et je passais mon temps à essayer de les matérialiser. Je suis très pratique, très manuelle et tout à fait pragmatique dès lors qu’il s’agit de faire aboutir un concept, de le concrétiser. J’ai toujours considéré la photographie comme quelque chose de technique, or j’ai vite su qu’il me fallait me concentrer sur la direction artistique pour pouvoir donner des instructions afin que les choses se fassent. En ce sens, BJ est mon partenaire idéal !
BJ : Un de mes souvenirs les plus nets étant enfant, c’était d’observer les volutes de fumée s’échapper du poêle à charbon de la cuisine de ma grand-mère. Elle se tenait là, avec le soleil levant derrière elle, et des filets de lumière s’infiltraient à travers les lamelles de bambou. J’étais fasciné par les tourbillons que cela formait. Mon père était marin de l’US Navy et il rapportait de ses missions dans le monde des photos en noir et blanc et, plus tard, des diapositives Kodachrome. Du jour où il m’a montré son appareil photo, j’ai su que j’avais trouvé ma voie, que, par le biais de la photographie, je serais en mesure de raconter mes histoires, mes cauchemars, mes rêves, mes idées et mes désirs.
BJ, vous avez assisté Mary Ellen Mark, Richard Avedon et Annie Leibovitz. Ont-ils exercé une influence sur votre travail ?
BJ : Dans la mesure où je connaissais très bien leur travail lorsque j’ai débuté la photo, je ne parlerais pas d’influence mais plutôt de prise de conscience des possibilités qui s’offraient à moi. La bulle a éclaté pour ainsi dire. Cela n’a pas anéanti mon fantasme mais m’a permis de me rendre compte que ces stars étaient de simples mortels utilisant la même pellicule, les mêmes lumières stroboscopiques, les mêmes Polaroid et les mêmes appareils photo ! J’ai réalisé que s’ils pouvaient le faire, moi aussi, je le pouvais. En marge de cette épiphanie, assister ces photographes a assis mon respect pour l’art de la photographie. Et m’a aussi permis de prendre le contrepied de certains, en évitant les drames sur un plateau et en prenant soin des membres de mon équipe.
R. : Pendant de nombreuses années, j’ai travaillé en tant que directrice artistique et de la photographie. J’ai appris à établir des budgets, à faire face à des contraintes de timing, à savoir ce qui est visuellement important pour les marques et ce qu’il est matériellement possible de faire pour de grosses productions. Quand on jongle avec autant de marques à la fois et qu’on est en mesure de satisfaire et de gérer tout le monde, on apprend à se concentrer sur l’essentiel et à canaliser ses efforts dans le but d’optimiser les résultats. Le profit de cette expérience dans ce secteur est inestimable. On se rend compte de quoi on est capable et, du coup, on acquiert une visibilité sur ses propres projets et sur la façon de repousser ses limites.
De quelle manière votre expérience dans la mode et la publicité vous a-t-elle été utile dans vos travaux artistiques ?
BJ : Notre travail personnel, très stylisé, révèle indubitablement que nous avons des antécédents dans la mode et la publicité. Toujours à la recherche d’un équilibre entre art et commerce, nous essayons de nourrir l’un avec l’autre. Ce qui importe, au bout du compte, c’est la relation que l’on tisse avec le sujet et avec le client. Je « tombe amoureux » de mon mannequin pendant le processus de création et je suis convaincu que, si je donne tout, les autres feront de même. Quand nous sommes mandatés par un client, j’estime que nous devons rester fidèles à notre vision tout en veillant à ce que celui-ci soit satisfait.
Comment vous départagez-vous le travail ?
BJ : Après douze ans de collaboration, la limite est de plus en plus floue. Mais disons que je crée la lumière et Richeille le pigment. Je veux dire par là que je supervise la composition et les jeux d’ombres et de lumières tandis que ma meilleure moitié voit en termes de couleurs, de textures et de palette.
R. : C’est difficile à dire dans la mesure où cela varie. Généralement, je porte la casquette du directeur artistique en mode collectionneuse, rêveuse, qui accumule des éléments visuels et des idées, et qui est à la recherche de lieux contribuant à la narration. BJ est le fabricant, il rend mes idées possibles grâce à sa grande capacité à passer des coups de fil, à envoyer des e-mails et à étayer les images de ses propres recherches. On pourrait dire que nous incarnons le parfait équilibre, le yin et le yang, avec une approche issue aussi bien du féminin que du masculin.
Chacune de vos séries fait référence à une période donnée de l’histoire d’une culture. « Japan Diaries » (2013-2015), par exemple, rappelle le cinéma japonais des années 50, l’œuvre d’Araki et de Moriyama. Pourquoi ressentez-vous ce besoin de témoigner d’une culture ? Car vous recréez une réalité plus que vous ne vous en faites les témoins.
BJ : Le voyage est au centre de notre travail, nous adorons ce sentiment d’incertitude où, après chaque virage, un nouvel espace reste à explorer. Nous nous épanouissons dans la spontanéité de prises de vue in situ, nous nourrissant de l’énergie qui circule entre nous, le lieu et nos sujets, imprégnant d’émotions un moment qui, autrement, serait insignifiant. Tandis que le monde rétrécit de plus en plus avec l’avènement de la technologie, les gens ne font en général que parcourir superficiellement et effleurer la culture. Par le biais de notre narration, d’une allusion à l’histoire ou à un mouvement artistique, nous espérons inciter le public à aller plus loin, que ce soit depuis son fauteuil ou en prenant à son tour la route.
R. : Nous apprenons énormément de notre travail, qui consiste à déployer des efforts méticuleux pour reconstituer un scénario ou une époque spécifiques. Il est important pour nous de pousser le public à scruter le détail et qu’il comprenne que ce qui compte n’est pas uniquement ce qui apparaît à la surface d’une image mais peut être dissimulé en tout petit dans la photo. Les moments passés de l’histoire ne sont pas toujours ce qu’ils semblent être et, d’une certaine manière, nous aimons insérer une petite partie de nous-mêmes dans nos photos.