D’où vient ce besoin de s’installer au comptoir ? Vivant, qui fête ses 10 ans, nous répond

Emblématique des cafés et restaurants français, le zinc se travaille et se redéfinit. Comment manier un essentiel du monde bistrotier sans le dénaturer ni oublier sa fonctionnalité première : celle de créer de la proximité ? Le comptoir gastronomique Vivant a tenté de nous aiguiller. 

Il y a dix ans, Pierre Jancou ouvrait à Paris la cave à manger Vivant. Le plan ? Une chambre à boutanches étanche, un comptoir marbré, des plats sourcés et c’était plié. Depuis, le lieu a muté, accueillant la crème des chefs de l’Hexagone, voyant toujours autant de clients de passage et habitués défiler à tour de coudes sur leurs hauts tabourets. Parce que dix ans, ça sonne bien et parce que la philosophie du comptoir comme unique présentoir semble de nouveau envahir et séduire nos habitudes alimentaires, il fallait se le demander. Qu’il s’agisse d’un pan en marbre, en zinc, carrelé ou boisé… Qu’est-ce qui nous pousse à s’acomptoirer ?


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Fines bouches

« Traditionnellement, on boit plus que l’on ne mange, au comptoir ! », démord au bout du fil Nathalie Peyrebonne, spécialiste en sociabilités alimentaires. La maîtresse de conférences à la Sorbonne précise :  « Le bar étant une interface plus pratique qu’autre chose, il est l’endroit où l’ouvrier et le cadre se retrouvent pendant une courte pause pour tailler la bavette au tenancier en buvant un café, le journal à la main, et peut-être un sandwich dans l’autre. » Sans sandwich ni journal, mais avec un cuisinier en guise de tôlier, c’est bien ce contraste qui, dix ans plus tôt, a séduit l’esprit Vivant.

Installé au comptoir, la cuisine se fait spectacle.
Installé au comptoir, la cuisine se fait spectacle. Victoire Terrade

Clément, arrivé en sommellerie pendant le mandat de Pierre Touitou, “quasiment aux débuts de l’aventure”, se félicite-t-il, est aujourd’hui à la gérance du spot de 14 places assises (puis de Déviant et Il Camino). Le pilier du long bar marbré souligne :  « Ce qui nous intéresse ici, c’est qu’on ne peut pas nous définir comme une cuisine de comptoir. On ne mange pas sur le pouce. À vrai dire, c’est même une cuisine qu’on retrouverait sur table blanche nappée ». Mais bien qu’ils jouent les fines bouches, chez Vivant, dix ans avant ou après, l’esprit comptoir ne tarit pas.

Alors que Nathalie Peyrebonne met en garde sur l’aspect aliénant pour le personnel, que peut porter la mise en scène d’une « cuisine ouverte », Clément l’assure : « Le comptoir, en guise de « show » pour juste déplacer la cuisine sans qu’il y ait un fond à la démarche nous intéresse très peu. L’idée de tout ouvrir doit rester cohérente car elle ouvre le dialogue entre les gens, clients et staff confondus. »

Brèves de comptoir

« Celui ou celle qui s’installe au comptoir cherche une certaine proximité contrairement à ceux, en salle ou en terrasse, qui regardent vers le décor, vers l’extérieur… », continue la spécialiste en sociabilités alimentaires, avant de noter dans la foulée que « versus la table où elle est privée, cachée, au bar la discussion est ouverte voire provoquée. » Épluchage du quotidien, de l’actualité, allant du beau temps jusqu’aux dernières vacances passées, lorsque l’accoudé décontracté est installé, la langue commence à se délier.

Chez Vivant, l’expérience se vit au comptoir

Léo Dauvergne, chef depuis trois ans chez Vivant, a eu le temps d’analyser ce phénomène, « qui existe déjà beaucoup en province et qui arrive enfin à Paris. L’attractivité du comptoir, c’est d’être spécial pour quelqu’un, c’est d’être vu et reconnu. En venant seul, on ne le restera pas pour longtemps. Surtout si vous venez pour la deuxième ou troisième fois, on vous reconnait, vous prend en considération. »

Le restaurant Vivant fête 10 ans de gastronomie servie au bar.
Le restaurant Vivant fête 10 ans de gastronomie servie au bar. Victoire Terrade

Se (faire) bousculer

Si le souhait d’inviter la gastronomie au comptoir est de l’ordre du transgressif, il l’est aussi de s’autoproclamer décontractés tout en prônant une précision hors pair. « Cette cuisine est en réalité un couloir tellement étroit que l’on peut à peine se retourner », s’amuse Léo qui ne se verrait plus faire autrement. Lui qui avoue toujours faire en sorte de ne pas réserver lors de ses voyages à Londres pour se retrouver au comptoir en walk-in, le chef (ex-A.T, une étoile Michelin) trouve son compte des deux côtés. « On se met à l’épreuve de la spontanéité en dinant au comptoir, et nous nous challengeons nous-mêmes en stimulant le contact humain tout en travaillant dur. »

En venant mordre sur le côté douillet (voire frisquet), du restaurant, le comptoir en marbre du 43, rue des Petites Écuries a fait du chemin, ouvrant par la suite son petit frère Déviant, plus bar à vins que resto et ouvertement ouvert d’esprit. Et alors que Buttes Snack Bar, Pluto, Rori à Paris, Yegg Pub et La Famille à Perpignan, ou encore Mercato à Marseille font à leur tour rayonner le comptoir comme vecteur de convivialité décomplexée, l’espoir naît. Dans l’ère du coffee shop que l’on connaît, à quand la possibilité d’une V60 à siroter au comptoir partagé ?

> Restaurant Vivant 2, 43, rue des Petites Écuries, Paris 10e. Plus d’informations ici.


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