Fondée en 1939, la PME parisienne Montex fut parmi les fournisseurs les plus novateurs de la haute couture. Directeurs artistiques de Montex, Annie Trussart et Alain Cornaz auront l’idée en 1987 de détourner et d’émanciper l’ancestrale technique de la broderie pour créer des architectures hors norme propulsées dans l’espace. En 2011, Montex rejoint la filiale consacrée aux métiers d’art du groupe Chanel et, en 2013, se dote du studio MTX, chargé de développer cet héritage.
Depuis trois ans, Mathieu Bassée dirige cette entité, multipliant les réalisations audacieuses, stimulant l’exploration et les solutions improbables. Le salon rose de la Villa Noailles accueillera notamment un paravent paré d’une broderie de tubes, en finition or rose, montés sur sangles tendues sur trois cadres en frêne, une pièce favorable à la visibilité de l’atelier.
Ses clients ? Des artistes (comme Vikram Divecha et son Train pour Rouen exposé au Louvre Abu Dhabi l’an dernier) ; des designers et des architectes à la recherche d’éléments spectaculaires pour des particuliers fortunés ; des musées, des hôtels et des restaurants étoilés, ou encore des boutiques (Guerlain). On comprend que l’activité du studio MTX n’est pas l’ennoblissement d’une étoffe ; le textile sert au même titre que le plastique, le bois, le métal, le cuir, le verre, le papier ou le béton ! Mélangés, transformés, ces matériaux se fondent dans des formes décoratives fonctionnelles comme des claustras, des brise-soleil ou une lampe – premier objet MTX présenté au Salon du meuble de Milan (2013).
Comme par miracle, les architectures tiennent debout dans l’espace, provoquant l’affolement de nos sens, perturbés par la légèreté de structures habilement camouflées sous plusieurs couches de matériaux. En bon magicien, le studio MTX concocte des troubles visuels, travaillant les profondeurs, les degrés de transparence, les faux-semblants, les jeux graphiques. Il est passé maître dans l’art des prouesses d’ingénierie qui perdent le spectateur dans les délices du doute et de l’éblouissement.
Comment êtes-vous arrivé chez MTX ?
Mathieu Bassée : J’ai d’abord eu une autre carrière, à New York et à Londres, avant de me décider à passer un diplôme de design industriel, à l’ENSCI, il y a six ans – j’ai 41 ans. Ensuite, j’ai dessiné des sacs pour Hermès, ce qui m’a permis de découvrir les métiers du cuir, notamment. Il y a trois ans, MTX cherchait quelqu’un connaissant les savoir-faire artisanaux liés à la mode afin de déployer la broderie dans l’espace. Proche de la retraite, Annie Trussart m’a confié les clés de la maison.
Sur quels types de projets travaillez-vous ?
On réalise aussi bien des lampes que des broderies-écrans de 100 m2, pour un paquebot par exemple. Cette commande n’est pas un simple revêtement mais une architecture qui doit équilibrer le lieu, le réguler. Elle est composée de rubans de satin de soie enrobant un laiton brossé, de minuscules triangles de Plexiglas rebrodés de sequins fixés sur 300 câbles tendus sur un cadre de métal de 5 mètres de haut. Les tensions provoquées demandent un calcul d’ingénierie afin d’anticiper les contraintes – par exemple vibratoires – sur le bateau en mouvement. Nous bâtissons ce rêve un peu fou qui consiste à construire un espace dans l’espace, où nos broderies font collaborer les éléments et les matériaux, tels que perles, cannetille (fil d’or, d’argent ou de laiton enroulé autour d’une corde métallique, NDLR), tubes, verre, métal, béton, cordes d’escalade, laque blanche, aluminium, nickel, gros-grain et polystyrène.
Utilisez-vous l’ordinateur pour modéliser vos projets ?
Rien ne remplace un croquis au crayon, lequel est modélisé avant son évaluation par nos brodeurs. Il faut que la structure tienne debout. Or, il n’y a pas de calcul de la gravité dans un ordinateur. Afin de rendre réelle l’idée initiale, nous faisons des tests et des échantillons. Des pièces partent au rebut, car il y a mille façons de combiner les matières. On épuise toutes les solutions pour en trouver de non conventionnelles.
Comment cela se passe-t-il en pratique ?
Au quotidien, le studio MTX emploie quatre artisans issus de différents horizons et des designers extérieurs nous épaulent sur des projets spéciaux. La plupart du temps, nous brodons en rivetant, vissant, en sanglant et en boulonnant. Parfois, on décompose un velours dont on n’extrait que les poils brillants, lesquels seront floqués sur un tube. La pièce devient alors étonnante. Nos supports sont des grilles en Inox fabriquées par une entreprise agroalimentaire. Leur fil parfait permet de placer des motifs brodés, parfois articulés pour engendrer une esthétique plus bavarde.
Quels sont vos secrets de fabrication ?
J’ai évoqué le flocage, mais les métaux sont finement travaillés pour leur donner des expressions différentes. Nous jouons avec les effets optiques, entre transparence et opacité, inspirés par les filtres de confidentialité des ordinateurs : lorsque le voisin tente de regarder l’écran latéralement, il ne voit que du noir. Cette technique est reprise dans une maille qui disparaît si l’on se place de côté. Nous utilisons aussi des peintures et des plastiques qui changent de couleur… donc le point de vue. La broderie n’a pas la même allure non plus selon son éclat ou sa géométrie, laquelle génère des pleins et des vides. La superposition permettra de passer de la clarté au flou, un moiré produira une déformation et un tube de verre tissé offrira des éclats et des ombres incroyables.
Le module, c’est votre marque de fabrique ?
Répétée et géométrique, la « tessellation » est une technique et une esthétique très anciennes, utilisées dans les palais de l’Alhambra (XIVe siècle) et à la basilique Sainte-Sophie (IVe et VIe siècles). Vingt personnes peuvent travailler sur un seul module pour produire de grandes surfaces par assemblage. Cela engendre une dimension modulaire abstraite qui vire au vertige et nous aspire dans sa poésie mathématique.
Comment collaborez-vous avec les architectes ?
MTX ne travaille qu’à la demande. Toutefois, pour les architectes, décorateurs ou designers, on présente perpétuellement dans notre showroom des échantillons de matières brodées, texturées, assemblées, puis montées en volume, qu’ils peuvent ainsi imaginer intégrer à leur projet. L’architecte nous donne son impulsion sur le projet et sa charte technique. Avec lui, on envisage à chaque fois des solutions nouvelles pour que la structure soit raffinée, légère, et la broderie mise en valeur.