Lorsque la Vénitienne Amelia Pegorin fonde l’éditeur de mobilier Saba en 1987, Antonio Marras « entre » en mode dans la boutique familiale. Tandis que l’une s’intéresse à la poésie et à la philosophie, l’autre se passionne pour la danse, le théâtre et l’art. Tous deux Italiens, renommés dans leurs domaines respectifs, cultivant un esprit d’avant-garde, ils viennent de conjuguer leurs affinités et leurs différences dans une œuvre commune. Amelia a donc laissé son mobilier « New York », signé Sergio Bicego, se faire rhabiller par Antonio Marras. Robes de bal, fleurs à foison, scène de chasse… L’effet sur le sofa est bluffant de poésie. Il faut préciser que Marras n’est pas seulement un créateur de mode, mais aussi un artiste aux multiples facettes. Amelia Pegorin revient pour nous sur cette collaboration grâce à laquelle les délicates œuvres peintes du styliste forment de somptueux tableaux, surlignant l’élégance du mobilier contemporain édité par Saba.
Qu’est-ce qui a déclenché cette collaboration entre vous, Amelia Pegorin, et Antonio Marras ?
Amelia Pegorin : Antonio et moi nous sommes rencontrés pour la première fois lors de la Design Week milanaise, en 2017. Très exactement durant la performance baptisée « Duetti/Duelli » (duos/duels) dont Francesco Maggiore et Francesco Moschini étaient les curateurs tandis qu’Antonio Marras et Vincenzo D’Alba (architecte, designer et illustrateur, NDLR) y travaillaient à quatre mains sur un sujet. Antonio y réalisait un portrait spontané dans un fauteuil Saba. Il nous a contactés plus tard en proposant cette collaboration en vue de la Design Week 2018. Nous lui avons tout de suite donné carte blanche. Il nous a alors soumis une dizaine de combinaisons de tissus et de motifs dont trois ont été mis en production. Nous avons seulement modifié la qualité des textiles, car les étoffes utilisées par la mode ne conviennent pas à l’ameublement.
Pourquoi avoir précisément choisi de relooker votre ligne « New York » ?
Grâce à ses housses amovibles, le fauteuil de la collection s’est vite révélé le top-modèle parfait car nous avons pu essayer sur lui différents types de textiles. Et il se trouve que cette proposition coïncidait avec le goût d’Antonio, qui aime bien cette collection… Il a imaginé des motifs pour le fauteuil, mais également pour le canapé et les chaises. Enfin, très vite, l’idée de sublimer les pièces d’une « robe » s’est imposée, inattendue.
Quels ont été vos rôles respectifs durant les différentes étapes créatives ?
L’entreprise Saba est située à Padoue. Mais mon studio est à Milan, proche du concept-store NonostanteMarras (« en dépit de Marras », qui présente les collections du créateur, NDLR), ce qui nous a permis de nous retrouver, Antonio et moi, chaque semaine, de janvier à avril. Antonio nous a adressé différents rendus sur textile en une dizaine de combinaisons possibles, ainsi que la série de pièces uniques peintes une à une sur lin écru. Il a réalisé ce travail à main levée, comme un peintre sur une toile. Le geste est très spontané et puissant, et le dessin m’a paru particulièrement poétique et fort. De mon côté, je me suis attachée à la sélection de tissus pour Saba, à la coordination des motifs et des textiles en partenariat avec plusieurs fournisseurs. Cette partie a été très ardue, puisque nous avons dû procéder à plusieurs essais avant d’obtenir un résultat parfait, identique à l’original. La scène de chasse a par exemple été imprimée, au départ, sur un coton et a dû être réimprimée huit fois jusqu’à l’obtention d’une finition impeccable et de la couleur exactement souhaitée. Même chose pour le motif floral qui, à force d’expérimentations, nous a été livré seulement quelques jours avant le Salon du meuble !
Y a-t-il eu d’autres impératifs ?
Nous nous sommes surtout concentrés sur les collections « New York » et « Geo », car les motifs des tissus devaient également être adaptés au design et à la taille des produits. Ainsi, la scène de chasse telle qu’elle est présentée sur le canapé New York est conçue avec un dessin étudié pour courir sur ses coussins d’assise, sans rupture de motif, comme une fresque !
Comptez-vous approfondir cette veine artistique dans le futur ?
C’est notre toute première collaboration avec un designer extérieur et elle est très réussie, je trouve. À mes yeux, Antonio est un artiste. Passionnée par l’art, j’aimerais explorer ce territoire pour Saba. Depuis la création de mon entreprise, j’ai toujours eu à cœur d’expérimenter de nouvelles propositions, car le monde de l’ameublement évolue sans cesse. L’art, le design et la mode sont profondément connectés et leur combinaison peut être extrêmement fructueuse. À New York, dernièrement, j’ai rencontré des designers et des artistes talentueux qui me semblent prometteurs dans un avenir proche.