À la fois distributeur et concepteur, Decathlon pousse le sponsoring jusqu’à la cocréation de matériel, au sein de son bureau de design, qui compte quelque 500 designers. Illustration avec le skate DK900, imaginé avec le champion Édouard Damestoy.
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À fond le design
Après les dernières qualifications à Budapest fin juin, Édouard Damestoy s’élancera le 7 août, dans la spécialité Park, sur le bowl dressé place de la Concorde à Paris, devant des milliers de spectateurs. Paris a déroulé le tapis rouge au skateboard, l’une des quatre nouvelles disciplines olympiques 2024, avec le breakdance, l’escalade et le surf.
Édouard Damestoy peut croire en ses chances : il est le premier Français médaillé d’or aux X Games, la compétition américaine de référence pour les sports extrêmes. Le plus étonnant: son skate, le DK900, conçu avec Decathlon, est rigoureusement identique à celui vendu dans tous les magasins de l’enseigne. « J’adore rider cette planche. J’ai gagné les X Games et je sais qu’elle n’y est pas pour rien », s’enthousiasme l’athlète.
Adaptée à ses besoins, elle est le fruit d’une collaboration débutée en 2022. « La conception a été réalisée au siège, à Lille, explique Jean-Philippe Rode, chef de produit skate chez Decathlon. Au sein de l’un des plus grands studios de design intégrés de France, nous concevons 90 % de ce que nous commercialisons. Depuis 2021, nous avons mis en place des partenariats avec des athlètes de haut niveau afin de pousser la recherche encore plus loin. »
Avec 1700 boutiques établies dans 70 pays et 100000 collaborateurs, Decathlon a fait de la recherche et du développement son arme stratégique. 850 ingénieurs travaillent avec les quelque 500 designers à innover dans l’équipement de 80 sports. De la tente de camping 2 Seconds (Quechua) au masque de plongée Easybreath (Subea) couvrant tout le visage, les inventions de l’entreprise française sont dans tous les foyers.
Les équipes de conception sont réparties sur neuf sites, afin d’être au plus près de leur sujet. La randonnée et la montagne à Passy, au pied du Mont-Blanc, les sports d’eau à Hendaye, les sports nautiques à La Rochelle… et le vaisseau amiral, à Lille.
L’équipe skate compte une quinzaine de designers, tous skaters. « J’ai 48 ans et je pratique au minimum tous les deux jours, raconte Jean-Philippe Rode. À Lille, nous disposons d’un skatepark indoor de 650 m2 installé dans nos locaux. L’après-midi, des enfants y prennent des cours, le soir on y croise des riders plus expérimentés. C’est le meilleur endroit pour observer et tester. » Le chef de produit adore son sujet. Il rappelle que le skate est né dans le sillage des sports de glisse en Californie.
Dans les années 60, les skaters investissaient les piscines vides en forme de cacahuètes, aux parois arrondies. Un design inventé en Finlande par le célèbre Alvar Aalto pour celle de la villa Mairea, construite en 1938. L’architecte y voyait la forme d’un lac, les Californiens une arachide, les skaters le terrain de jeu idéal.
L’observation avant tout
« Le sport, c’est ce qui nous unit tous, poursuit Philippe Daguillon, directeur de la création des sports outdoor. Il n’y a pas de frontière entre mon métier et ma pratique sportive au quotidien. Notre démarche débute toujours par l’observation. Nos équipes vont à la rencontre des utilisateurs sur tous les terrains, dans la rue. Puis ils réalisent des interviews approfondies. C’est comme ça que nous nous sommes aperçus que le drame du skater, c’est sa planche qui casse. »
En 2021, Decathlon concentre donc ses recherches sur la solidité. « Un skate, ce sont sept épaisseurs d’érable canadien, un bois qui pousse dans le froid, avec des fibres denses, détaille Jean-Philippe Rode. Pour le rendre plus souple et plus solide, on remplace deux couches par de la fibre de verre. Il devient comme un roseau, qui plie, mais ne rompt pas. Les fibres du bois sont posées en alternant horizontal et transversal, pour éviter à la planche de vriller. De la même façon, la fibre de verre est tressée sur trois axes. »
La DK900 présente un excellent « pop » (le fait de taper l’arrière de la planche pour la propulser plus haut, NDLR) au rebond. Designers, ingénieurs et chefs de produit sont mis en tension avec les supports chargés de l’approvisionnement pour sortir l’objet le plus technique, au meilleur prix, avec un bilan carbone optimisé.
La fibre de verre a ainsi été préférée à la fibre de carbone, plus polluante. Le bois est labellisé FSC, et la fabrication se fait en Chine. « Nous vendons dans le monde entier; la Chine est aussi un marché important », rappelle Jean-Philippe Rode. Tous ces éléments combinés permettent de proposer le DK900 à 59 euros, contre plus de 100 euros chez les concurrents mondiaux qui utilisent ce type de technologie.
Avis d’experts
Le Team Athlètes Decathlon est associé à la conception et, bien sûr, aux tests. Pour les jeux Olympiques, Teddy Riner en est le capitaine. Le recordman du monde du 50 km marche Yohann Diniz chapeaute l’équipe. « Ils ont fait progresser notre technicité et font aussi notre fierté, reconnaît Philippe Daguillon. Nélia Barbosa, athlète paralympique de canoë, travaille avec nous sur un kayak gonflable, les frères Mickaël et Bassa Mawem ont conçu un chausson d’escalade. »
Côté skate, la championne néerlandaise Roos Zwetsloot a élaboré des roues. Et Édouard Damestoy s’est façonné son skate idéal. Le nose (l’avant de la planche), le tail (l’arrière), les trucks et la wheelbase (les fixations des roues et leur écartement) ont été adaptés sur mesure.
« Cette planche est le fruit d’un énorme travail collaboratif, dit-il. J’avais besoin d’un tail et d’un nose plus large, afin de me sentir plus à l’aise quand j’attaque, et aussi d’une wheelbase plus espacée pour plus de stabilité et de vitesse dans les grosses courbes. »
En magasin, la planche est commercialisée en trois tailles. Elle est habillée de dessins signés Thomas Canut, alors salarié de Decathlon, qui vit désormais de son art sous le nom de Tommy Knuts. L’artiste a créé un soleil, car Édouard Damestoy habite une partie de l’année en Californie et au Brésil. Un oiseau, pour son esprit libre et ses figures aériennes. Un volcan, pour son énergie. Et un U, pour la rampe.
« Le skate, c’est un art de vivre, résume Philippe Daguillon. Tommy s’est inspiré du caractère d’Édouard pour le rendre universel. De la même façon, nous avons sorti un vestiaire complet s’adressant à cette communauté. Ils considèrent leur sport comme un art. Le but, c’est de contribuer au flow. » L’accord parfait.
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