Designer diplômé de l’École Boulle et de l’ENSCI (École Nationale Supérieure de Création Industrielle), Jean-Baptiste Sibertin-Blanc puise sa créativité dans un matériau de prédilection, le verre. Après différentes expériences avec cette matière fragile et lumineuse, il s’est lancé un nouveau défi dans le cadre d’une résidence au Musverre de Sars-Poterie (Nord). Le résultat de ces dix mois de travail ? Une exposition qui conjugue le savoir-faire unique d’artisans verriers et la philosophie de son design. « Lettres de verre – Une éclipse de l’objet » s’adresse à un large public en questionnant la fonctionnalité et en traitant poétiquement de problématiques sociales telles que l’apprentissage de l’écriture ou l’illettrisme.
La lettre met-elle un voile sur le design produit ?
Jean-Baptiste Sibertin-Blanc : J’ai commencé à dessiner des lettres comme un acte de création pur qui reflète ma réflexion actuelle : Comment tourner autour de l’objet, s’en éloigner un temps pour mieux y revenir ? Les objets nous entourent, s’accumulent, et perdent parfois de leur sens. La notion d’éclipse définit bien cette pensée. Ce n’est pas la disparition de l’objet mais plutôt une forme de mutation de l’objet ou bien encore une parenthèse qui questionne la matière sous un nouvel angle. 2020 a été une éclipse et 2021 le sera probablement aussi… Le rapport aux mots m’intéresse, aussi bien pour ce qu’ils disent que pour ce qu’ils taisent. Selon moi, la lettre, le mot, et donc le langage sont, avec l’art, les deux vecteurs qui permettent à l’être humain de communiquer. « Lettres de verre » réalise l’union des deux. C’est un langage de la matière qui nous aide à dire ce que l’on n’arrive pas a écrire.
Comment mettre des mots sur une pensée
Qu’est-ce que la lettre apporte au verre ?
D’abord, il y a la métamorphose de la lettre en trois dimensions. On la perçoit donc différemment. Comme une sculpture, on tourne autour, on passe à la suivante et on revient dessus pour s’attacher aux détails de textures, de couleurs, et aux jeux de pleins et de vides qui sont accentués par la transparence. La lumière joue un rôle essentiel. Elle révèle la volumétrie des lettres et donc mon travail de concepteur de forme ainsi que celui des artisans qui repoussent les limites de la matière. Ensuite, on s’aperçoit que le travail du verre apporte à chaque lettre un caractère unique. À l’inverse, la lettre apporte au verre un véritable champ lexical. La lettre et le verre sont complémentaires et c’est pour cela que l’alphabet prend tout son sens lorsque les vingt-six lettres sont projetées dans l’espace.
Force de lettre et fragilité du verre
Quel fut le rôle des artisans verriers ?
La résidence s’est déroulée avec quatre verriers : deux que je connaissais bien et deux autres que le Musverre m’a recommandés. Hugues Desserme est un spécialiste du verre bombé et héritier d’une tradition familiale depuis plus de deux siècles. Didier Richard est un modeleur professionnel qui partage sa carrière entre Daum et Lalique. Stéphane Rivoal est un professionnel du soufflage et du travail à la flamme. Enfin, il y a Simon Muller, un technicien averti maîtrisant les techniques de soufflage à la canne. On a débuté le projet le 9 janvier 2020, période des gilets jaune, des grèves et du Covid. Pourtant, le Musverre a si bien embrassé le projet que rien ne nous a arrêtés. Nous avons pu livrer l’ensemble des lettres de verre le 23 octobre 2020. Chacun maîtrise sa technique, mais on a beaucoup appris les uns des autres. Cet alphabet, c’est une grande satisfaction de voir le résultat après des mois de travail et une quantité de casse inimaginable.
De la lettre sur papier à la lettre de matière, un concept scénographié…
La scénographie innovante imaginée par Franck Lecorne, met en valeur la tridimensionnalité des lettres de verre. Elle est pensée de manière à passer du plat au volume. Au centre de la pièce, une longue table accueille les lettres sur des dalles rétro-éclairées. Le jeu de voilages révèle les pièces et rythme également la scénographie dans un univers de papier. C’est remarquable de constater à quel point le Musverre, les verriers, le scénographe, le graphiste du livre… Tous ont saisi ma démarche et se sont investis pour faire vivre l’expo. On organise notamment des médiations, ateliers plastiques, visites guidées, concerts, spectacles de théâtre et collaborations avec des associations proches comme « Mots et Merveilles », la protection de l’enfance ou les sites hospitaliers. Ou encore le DN MADE (Diplôme National des Métiers d’Arts et du Design) du lycée Théophile-Legrand. On souhaite également participer à la Nuit des Musées et au Printemps des Poètes. Le livre ainsi que le recueil de poèmes de trente auteurs fédérés par l’écrivain Dominique Sampiero ouvre de nouvelles perspectives pour l’alphabet. Le Musverre vaut vraiment le détour pour son architecture, ses expositions, et sa démarche sociale.
> Musverre. 76, rue du Général-de-Gaulle, 59216 Sars-Poteries. Réouverture du musée dès que les conditions sanitaires le permettront.