On ne tombe pas par hasard dans son antre. Le plasticien Daniel Arsham, dont les cavernes, les fausses reliques et les sculptures fantomatiques excitent tous les puissants de l’art et au-delà, s’est terré avec ses équipes au fond d’une allée plutôt sinistre du Queens. Nous sommes dans la zone industrielle de Long Island City, où vrombissent encore des semi-remorques, où résonnent encore des fracas de ferraille, même si à quelques blocs de là, de hauts lieux de l’art, comme le Sculpture Center ou le Fisher Landau Center, se sont immiscés entre les usines.
Le studio Arsham, lui, voisine avec un café-restaurant abandonné tout en bordant les eaux de l’East River : sur la rive d’en face, Manhattan étale les rutilances de sa skyline. Mais l’atmosphère, ici, n’est pas à la contemplation. D’ailleurs, l’atelier du jeune maître ne regarde pas vers le dehors. Il s’agit d’un immense white cube bien charpenté, opaque, qui a dû tourner jadis au rythme des trois-huit…
Avant Arsham toutefois, c’est une autre sommité de l’art, le galeriste Jeffrey Deitch, ex-directeur du Museum of Contemporary Art de Los Angeles (MOCA), qui occupait les lieux, profitant du volume de l’espace pour montrer là des œuvres monumentales à ses clients collectionneurs. Ce bâtiment, l’artiste se l’est approprié avec panache. Ce qui frappe d’abord, ce sont ces murs qu’Arsham a subvertis par endroits. Ici, des concrétions qui dégorgent. Là, des silhouettes qui semblent vouloir s’extraire du plâtre. Là encore, une inquiétante cavité qui creuse en strates la paroi. Le plasticien s’est fait connaître, en effet, par son art de s’inscrire dans la chair du bâti, de déjouer les murs trop blancs et les architectures trop lisses des espaces d’exposition.
« J’aurais d’ailleurs aimé devenir architecte, évoque-t-il, fasciné que j’étais par Le Corbusier, par John Lautner, par les créations un peu folles que le jeune Frank Gehry érigeait à Venice Beach (une drôle de maison sur échasse et la structure d’entrée en forme de paire de jumelles d’un parking de bureaux, NDLR). Je n’avais pourtant pas la patience requise. Mais finalement, aujourd’hui, en manipulant des surfaces, des pans de bâtiments et des structures, mon travail d’artiste s’enchevêtre avec l’architecture. » Voire s’y dissout parfois : soucieuses d’insuffler un peu d’art à leurs surfaces commerciales, les griffes de mode, entre autres, lui commandent des aménagements de boutiques ou des scénographies de défilés qu’il réalise, épaulé par une solide équipe technique, à travers sa société Snarkitecture (de snark, « sarcasme » en anglais). Ce jour-là, d’ailleurs, le studio est rempli pour moitié d’une dizaine de jeune gens qui pianotent sur leur ordinateur : ils produisent des plans et des images de synthèse comme ceux déjà punaisés au mur avec rigueur.