Immersion en plein cœur de Manhattan

New York palpite bien au-delà des clichés qui l’encombrent. L’« île-monde », cette tour de Babel qui « ne dort jamais », surprend d’autant mieux qu’on croit la connaître. Plongée à 360 degrés dans Manhattan, au cœur de ses métamorphoses.

Une nuée de voitures de police, sirènes mugissantes, écourte soudainement votre nuit. Il est quatre heures du matin et déjà, par la fenêtre, vous observez comme en plein jour les tractopelles et marteaux-piqueurs qui pétaradent à plein régime pour livrer à temps un énième gratte-ciel. Et, comme en plein jour, vous repérez cette trentenaire apprêtée qui s’engouffre chez Duane Reade, une chaîne de pharmacies ouvertes 24 heures sur 24. Rien de plus commun, à Manhattan, que ces scènes qui défient le cadran et tourneboulent vos rythmes biologiques. « Il y a quelque chose dans l’air de New York qui rend le sommeil inutile », assurait d’ailleurs déjà Simone de Beauvoir, qui y séjourna quelques mois en 1947. C’est un cliché, certes, mais « la Ville qui ne dort jamais » fait rarement mentir son surnom.

L’agitation de Times Square depuis l’hôtel CitizenM.
L’agitation de Times Square depuis l’hôtel CitizenM. Young-Ah Kim

On l’a dite traumatisée à vie par les attentats du 11 Septembre. Sans doute, mais elle a l’art de panser ses plaies avec grâce : en guise de mémorial, on a creusé deux sobres cavités, tapissées de cascades, qui vous laissent coi d’émotion. Plus tard, alors que Manhattan sortait du coma, on lui a reproché sa cherté, son étroitesse, son insularité, arguant que toute sa jeunesse migrait vers la vaste Brooklyn, laissant Downtown, Midtown et Uptown à leur richesse proprette… Et ensommeillée ?

Certes, lorsqu’on sillonne aujourd’hui SoHo, on sera bien en peine de ressentir les ondes underground dont vibrait ce pâté de maisons mythique, où Yoko Ono chahutait la musique et où Trisha Brown dansait avec sa troupe sur les toits. Désormais, South of Houston Street, son nom complet, ne jure que par le shopping haut de gamme tout en ravalant ses façades à grands frais. Mais pourquoi bouder son plaisir ? Du concept-store M. Crow au lunettier Retrosuperfuture, les boutiques les plus désirables trustent Howard Street, tandis que les cast-iron buildings, ces immeubles festonnés d’escaliers métalliques, si typiques du coin, pavoisent sur Greene Street, plus pimpants que jamais.
Un souffle trendy s’est propagé à tous les quartiers mitoyens, si bien qu’à l’image des locaux, stoïques, on prendra son mal en patience pour déjeuner d’œufs frais chez Egg Shop, dernier snobisme de NoLita, et l’on jouera des coudes dans les rayons de Dashwood, le libraire pointu de NoHo, pour feuilleter quelques raretés arty.

Dans le concept-store M. Crow, on trouve des jouets d’enfants, des vêtements et des meubles édités par la marque maison BDDW.
Dans le concept-store M. Crow, on trouve des jouets d’enfants, des vêtements et des meubles édités par la marque maison BDDW. Young-Ah Kim

Pour toucher du doigt un New York moins policé, il faut mettre le cap à l’est, vers le Lower East Side, à quelques blocks de là, dont la jeunesse créative a fait sa terre d’élection, car non, Brooklyn n’a pas l’apanage des moins de 30 ans ! Loin d’un ghetto pour freelancers végétariens, on déambule ici dans une très vivante extension de Chinatown, avec des grands-pères qui jouent au mah-jong en plein air, des monceaux de choux pak choï débordant sur les trottoirs, le tout ponctué de bars foutraques, type Forgetmenot, et de galeries d’avant-garde. « Les collectionneurs viennent bien plus facilement dans ce coin de Manhattan, certes encore populaire et excentré, qu’au fin fond de Brooklyn, nous explique Tara Downs, pragmatique, qui dirige la Tomorrow Gallery. D’autant que le New Museum, l’un des lieux les plus excitants de la création contemporaine, est à deux pas d’ici. »

Si bien que les pointures du marché de l’art, à l’image de CRG ou de Bitforms Gallery, emboîtent le pas à ces jeunes pionniers, quittant Chelsea, leur « quartier historique », pour s’insinuer entre les échoppes cantonaises. Un grand chambardement qui fait sourire la plasticienne Sophie Stone, 29 ans, justement établie à Chelsea, à contre-courant. « C’est fou comme ce coin qui excitait tout le monde il y a cinq ans est devenu de moins en moins cool, rigole-t-elle. Il faut dire que les loyers de Chelsea sont tellement délirants que j’ai presque honte d’avouer que j’y bosse ! » Son studio à elle, bien sûr, tient du bon plan : elle façonne ses œuvres puissamment rugueuses dans un espace semi-souterrain, niché au fond d’une courette fleurie, qu’elle partage avec une copine. « L’ambiance de Chelsea, du coup, s’est détendue. C’est plus casual, poursuit-elle, notamment grâce à cette High Line, au coin de la rue, où j’adore flâner. »

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