Au Japon, l’art du jardin est une sublimation de la nature. À travers lui, l’homme cherche à provoquer une émotion. Le jardin japonais est donc l’expression d’une quête : celle d’un équilibre entre beauté naturelle, sauvage, et intervention humaine.
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Le résultat artificiel incarne la relation duelle que le Japon entretient avec son environnement, qu’il admire autant qu’il cherche à le maîtriser. Le paysagiste kyotoïte Hiroki Hasegawa le confirme : « Je puise mon inspiration dans la nature qui m’entoure et je cherche à créer une reconstitution stylisée de ce contexte. »
Du bois, de la pierre, du bambou: parce qu’il conçoit le jardin comme une image de la nature, le jardinier japonais emploie autant que possible des matériaux qui en sont issus.
« Je veux mettre en valeur leur simplicité, la beauté du temps qui passe qu’ils reflètent, et cela en prenant soin de ne pas ajouter d’éléments inutiles, dans l’esprit du wabi-sabi », souligne quant à lui le jardinier-paysagiste Bumpei Matsumura.
Espace intermédiaire entre le monde extérieur et le lieu clos de la maison, le jardin est aussi éminemment culturel, d’ailleurs il en existe plusieurs types bien définis. Il occupe, par exemple, une place de choix dans les pavillons où se déroulent la cérémonie du thé, qui apparaissent dès la fin du Moyen Âge.
Le « Sun Garden », sur le toit du musée d’Art contemporain de Kyoto (le Kahitsukan), rappelle cette noble fonction. Aménagé dans une tour en béton, il jouxte une pièce d’habitat traditionnel, dont l’un des côtés n’est pas vitré, laissant le vent s’engouffrer: « Pour ses concepteurs (Yoshitomo Kajikawa et Akenuki Atsushi, NDLR), il était important de conserver un lien avec la tradition. Le jardin, comme la cérémonie du thé, offre un moment de méditation et nous permet d’être en relation avec l’air, la lumière, l’odeur de la mousse… », souligne la conservatrice Yuka Kajikawa.
De son côté, le « Jardin caché » (jardin intérieur), conçu par Hiroki Hasegawa pour l’hôtel Hoshinoya Kyoto, est façonné par la mise en place de vides et la recherche d’un équilibre asymétrique, qui forgent sa puissante esthétique.
« Je voulais aménager un engawa (terrasse en bois reliant l’habitat au jardin, NDLR), où l’on puisse s’asseoir pour admirer une composition constituée d’une succession de plans: l’érable, en point focal du jardin, les montagnes et la rivière, en arrière-plan et, au premier plan, le dallage qui reprend les principes du jardin sec, le karesansui ».
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Frugalité et jardins de poche
Le jardin, dans lequel la montagne et l’eau sont matérialisées par des pierres et du sable, et qui figure dans les temples zen où il est né, inspire les créateurs contemporains, qui chérissent son minimalisme, mais aussi sa sobriété environnementale. Ne nécessitant ni eau ni entretien poussé, il véhicule pourtant une sensation de nature.
Et parce que la nature est le lieu de résidence des dieux dans la pensée shinto et que le bouddhisme considère qu’elle forme avec l’homme un tout, un jardin accompagne traditionnellement temples et sanctuaires.
Le paysagiste Takeshi Nagasaki respecte l’usage en réaménageant celui du sanctuaire d’Isahaya, dans la préfecture de Nagasaki: « Je suis né à Nara, l’ancienne capitale du Japon, où j’ai découvert le jardin à travers ceux des temples. Investir un tel lieu est pour moi une consécration. »
Un autre type de jardin occupe habituellement le paysagiste: le tsubo-niwa. Hérités des pavillons de thé et des maisons en bois urbaines de l’époque Edo (1603-1868), ces jardins de poche ornent lieux publics et habitats.
Fonctionnels, car ils laissent passer la lumière naturelle et permettent à l’air de circuler, ils recréent aussi le lien avec la nature dont le citadin a été privé, en tirant ingénieusement parti de ressources limitées: « En ce sens, ils répondent bien à la notion de mottainai (rejet du gaspillage, NDLR): le moindre espace inutilisé est exploité », estime Takeshi Nagasaki.
Si le savoir-faire de leurs aïeux continue de marquer leurs travaux, les nouveaux artisans du paysage font souffler sur les jardins un vent de nouveauté…
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Les saisons et… les temps changent
Les créations prennent, dès la fin du XXe siècle, le parti de l’épure. La beauté du « Sun Garden », par exemple, vient de son extrême simplicité: un arbre, deux pierres, un parterre de mousses…De nouvelles techniques sont développées.
Le paysagiste Marc Peter Keane revisite dans le jardin « Ukifune » (à l’hôtel Genji Kyoto) celle du ruisseau sec: « Le plus souvent, on utilise pour le kare-nagare (cours d’eau représenté par un arrangement de cailloux, NDLR) du gravier ou de petites pierres disposées de manière aléatoire. En en installant un certain nombre sur la tranche, j’ai voulu donner au “cours d’eau” une direction et exprimer un mouvement au ralenti. »
Par ailleurs, des matériaux comme le béton, le verre, l’acier ainsi que de nouveaux dispositifs d’éclairage (LED) intègrent les compositions, tandis que des pierres taillées ou de couleur remplacent les galets naturels. Pour la galerie d’art Kanda & Oliveira, à l’est de Tokyo, Takeshi Nagasaki modernise le vocabulaire.
De sculpturales roches aux reflets rouges et bleus habitent le jardin de thé tandis que l’emblématique lanterne de pierre a été fichée dans le mur, symbole de résistance face aux catastrophes naturelles qui secouent régulièrement la région: « Le jardin est un médium pour raconter des histoires, concevoir des œuvres d’art. »
Une autre tendance émerge: le zoki no niwa, un jardin japonais planté d’arbres variés évocateur de la forêt. Sa forme plus libre et facile à entretenir a fait son succès. Aujourd’hui, le paysagiste voit le jardin reconquérir l’habitat et les villes japonaises, porté par l’intérêt des jeunes générations: « Ils réalisent que le jardin a un rôle important à jouer, que la terre a besoin de respirer, ce qui est impossible sous une dalle recouverte de plantes en pot. »
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