Avec 17 millions d’hectares de forêt (31 % du territoire selon l’IGN), la France occupe le quatrième rang des pays les plus boisés en Europe. Cette ressource naturelle est une chance, autant écologique qu’économique. La forêt absorbe en effet le double de ce qu’elle rejette de CO2 (soit 50 millions de tonnes dans l’Hexagone), en stocke 1,3 milliard de tonnes et le secteur de la construction bois, toutes activités confondues, pèse quelque 4,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020, en hausse de 2,5 % par rapport à 2018, selon l’Enquête nationale de la construction bois. Si le secteur ne représente que 3 % du chiffre d’affaires du bâtiment, il n’a jamais été autant dans la lumière. Pourquoi ?
Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’ordre des architectes, dénombre plusieurs raisons : « Nous sommes soumis à trois crises : celle du réchauffement climatique, celle de la biodiversité avec l’étalement urbain et celle des ressources. Celle-ci nous questionne sur l’eau, la finitude de certains matériaux comme le cuivre et le zinc, l’utilisation du sable pour le béton… Dans ce contexte, la construction bois prend une tonalité particulière, car ce dernier multiplie les atouts : il a des qualités constructives, de mise en œuvre et il peut être préfabriqué en atelier. Il permet donc la rapidité et la propreté des chantiers, stocke le carbone capté à l’état d’arbre et, bien sûr, c’est une ressource renouvelable. »
La part de la construction bois dans le marché du logement (maisons individuelles en secteur diffus et groupé, logements collectifs) est encore faible (6,5 % pour l’année 2020), mais elle augmente. Elle représente 30,5 % pour les extensions et 16,8 % pour l’ensemble des bâtiments non résidentiels, des chiffres également en progression par rapport à 2018. « Lorsque j’ai créé Archinovo, en 2010, le premier prix d’architecture portant sur la maison contemporaine en France, environ 20 % des projets présentés étaient en bois.
Depuis, nous avons atteint jusqu’à 50 %, observe Delphine Aboulker, architecte, cofondatrice d’Architecture de collection (agence immobilière de biens signés, NDLR) et directrice adjointe de l’école de Chaillot. Les jeunes architectes sont très engagés dans cette quête d’une architecture vertueuse et la maison est un terrain d’expérimentation des modes constructifs. En leur temps, de grands créateurs comme Alvar Aalto ou Frank Lloyd Wright ont utilisé le bois dans leurs projets. On constate aujourd’hui que même les promoteurs se mettent au bois, ce qui est un signe positif. »
Des défis à relever
Pour faire bouger les lignes, la filière bois s’organise. Annoncé il y a un an, le « Plan ambition bois construction 2030 » a été présenté en février dernier. Vingt-trois propositions ont été faites, qui valorisent ce matériau dans la construction, autour de plusieurs enjeux : la capacité industrielle, la préservation de la biodiversité et de la multifonctionnalité du bois, l’attractivité des métiers et l’aspect citoyen. Ces points résument bien tous les défis qui se posent au secteur. Car sur le terrain, il n’est pas toujours facile de « jouer le jeu ».
« Des habitudes ont été prises ces cinquante dernières années pour ramener la “construction traditionnelle” à un assemblage de béton, de plaques de plâtre et d’aggloméré, de fenêtres PVC, de tuiles en ciment pour atteindre 1 200 € du mètre carré, déplore Christophe Aubertin, architecte du collectif Studiolada, qui revendique une frugalité heureuse et créative et qui réalise ses rénovations et toutes ses constructions en bois. Cela a desservi la construction bois, plus coûteuse et parfois vue comme moins résistante. Mais les choses évoluent, les mentalités changent, aussi bien chez les particuliers que dans les collectivités territoriales, chez les promoteurs qui perçoivent mieux les qualités de la construction bois, comme la préfabrication en atelier qui réduit les délais de chantier, la possibilité de s’approvisionner localement et d’offrir des environnements sains. Le bois est aussi une chance pour nous, architectes, de réinventer une forme d’architecture, d’en redécouvrir d’autres… »
La réglementation environnementale (RE 2020) devrait aussi pousser à un usage plus fréquent du bois dans la construction. En effet, sur fond de division par quatre des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, le bâtiment, qui représente 44 % de la consommation d’énergie et près d’un quart des émissions de CO2, a un rôle crucial à jouer. Dans ce contexte, la construction bois fait sens puisqu’elle permet de décarboner.
Reprendre les bonnes habitudes
Reste que son marché s’est mondialisé et qu’il est parfois difficile de s’approvisionner et de trouver les compétences souhaitées pour bâtir dans les règles de l’art. « Nous sommes basés dans les Landes et nous privilégions autant que possible le pin local et les essences françaises, explique Dorothée Sola, architecte de 317C Architecte(s). Or, trouver ce matériau n’est pas toujours chose facile. Il existe un élan autour de la construction bois ; nous aimerions nous organiser en coopérative pour dénicher des filières d’approvisionnement en bois et en matériaux biosourcés comme les isolants naturels, pour travailler du champ au chantier. Nous avons, il est vrai, longtemps oublié les scieries locales au profit de produits industrialisés, un réflexe que nombre d’architectes retrouvent aujourd’hui. En plus de cette question des filières locales se pose aussi celle de réussir à employer des professionnels capables de mettre en œuvre correctement les matériaux pour éviter les désordres des ouvrages. Le bois pose en outre un défi d’inertie thermique qu’il faut compenser avec des matériaux comme les parements d’argile au mur, la terre cuite au sol… »
S’oriente-t-on vers le tout bois au détriment des autres matériaux ? Non, répondent unanimement les acteurs. « Ce serait une erreur de jugement que de travailler à la fabrication de la ville avec un seul matériau, d’autant que la ressource en bois demande du temps pour être disponible et que la filière doit encore s’organiser, estime Christine Leconte. Il faut mettre en place la gestion de cette ressource et l’utiliser à bon escient. Cela passe par une mobilisation de la filière, mais aussi par une intervention politique, pour aller du territoire au bâtiment. Travailler au mélange des matériaux permet de garantir qu’on utilise les bonnes ressources au bon endroit. »