Quand la suspension Vertigo (Petite Friture) devient une icône, c’est bien ou cela peut cacher l’étendue de ce que vous faites ?
Constance Guisset : Un peu les deux… C’est à la fois une chance inouïe d’avoir un objet qui porte, autant financièrement qu’en terme d’image. Le fait d’être rentré chez les gens, c’est ça la réalité de la lampe Vertigo : des gens sont heureux de vivre avec. Alors j’entends parfois dire sur un ton plaintif qu’on la voit beaucoup. Mais la seule question qui compte, ce n’est pas de savoir si les voisins l’ont, mais plutôt si l’on est bien avec. Cet objet a une présence enveloppante, il vous protège. Cela va au-delà de son aspect esthétique. C’est une chance d’avoir été portée si jeune par cet objet, ce qui m’a amenée à en faire d’autres, parfois moins connus, peut-être éclipsés ou pas, on n’en sait rien. Je ne me sens pas du tout assignée à quoi que ce soit par l’aura de cette création. J’oublie même que c’est moi qui l’ai faite il y a longtemps ! Elle ne m’appartient presque plus en fait… Je suis plus obsédée par mes nouvelles créations et par ce que je vais faire demain. Et l’idée que Vertigo ait permis de faire le reste, c’est très bien aussi.
Faire des choses très différentes, sans excès d’ornements, souvent avec une sorte de poésie et de douceur, c’est voulu ou pas ?
Un peu les deux ! Quand je dessine, je cherche à mettre de la surprise, de la douceur parce que je n’aime pas les objets agressifs. Il s’agit aussi d’avoir de la retenue, de la légèreté. Il me faut une certaine épure, ce qui prend du temps. En même temps, quand j’ai exposé mon travail au MAD Paris, j’ai été surprise de voir sa cohérence.
Vous nous aviez parlé dans un précédent interview de l’importance de « l’aventure humaine du studio »…
Oui, c’est important pour moi. Si je pouvais rester toute seule chez moi à faire des dessins, je le ferais. M’arrêter avec la Vertigo et faire des aquarelles… Alors que ce qui me plaît, c’est de faire des projets avec des gens, construire des choses ensemble. J’adore les personnes avec lesquelles je travaille. Une des choses qui m’a surprise pendant le confinement, c’est notre capacité à travailler ensemble. Nous avons développé une espèce de grammaire vocale. Il suffit que je cite une référence pour que l’autre voix ait tout de suite l’image. C’est très difficile de décrire des formes. Essayez avec un néophyte, vous allez faire appel à un vocabulaire un peu commun sur la forme. C’est différent si vous parlez avec des gens avec qui vous êtes bien et avec qui vous partagez une communauté d’esprit. Si, en plus, vous passez votre temps à communiquer avec eux, il se développe une espèce de vocabulaire. C’est génial de voir que quand je dis que quelque chose fait un peu Pirate des Caraïbes, mon équipe voit tout de suite de quoi je parle. Sans que je fasse référence à une forme en particulier mais à une sensation. Et ça, c’est vraiment extraordinaire.
Être spontanément compris, c’est ce qui se passe en général avec des amis de longue date…
Il n’y a pas beaucoup d’amis avec qui vous pouvez passer huit heures par jour pendant plusieurs années…
Quelle vision avez-vous aujourd’hui du design ?
Ce qui me plaît, c’est de faire des choses pour tous. Même si le design pour collectionneurs m’intéresse beaucoup et que je serais heureuse d’en faire, j’éprouve un grand plaisir à travailler sur les projets grand public, ou l’on rentre dans le quotidien des gens. On met beaucoup d’attention sur un objet qui peut ne pas être très cher. C’est aussi pour être abordable que je fais des petits objets. J’approche les choses par touches, c’est une sorte de pointillisme.
Les scénographies de spectacles sont-elles des projets comme les autres ?
Non, la différence fondamentale, c’est la collaboration avec d’autres créateurs. J’ai récemment travaillé avec Marc Couturier. On arrive à travailler ensemble parce que l’on a une vision forte en commun. C’est très différent quand on travaille avec un chorégraphe et que quelqu’un va venir en parallèle, un créateur lumière par exemple. On a là trois créateurs qui n’ont pas forcément la même vision. On retrouve à la fin quelque chose qu’on n’aurait pas fait naturellement et qui est la résultante de ces trois visions. Deux choses aussi sont très différentes d’un intérieur ou d’un objet, c’est l’échelle et le corps. Il y a une mise à distance qui n’est ni celle d’un intérieur ni celle d’un objet. C’est vraiment la version spectacle. On est face à quelque chose, un peu sur le côté mais jamais derrière. Il y a également le caractère temporel. Le fait que votre expérience soit arrêtée dans le temps en fait un projet différent.
Que vous apportent les expositions ?
Le plaisir de partager. C’est comme de recevoir des gens à dîner. Dis comme ça, cela a l’air primesautier, mais c’est assez agréable. Vous présentez un espace, vous le partagez. Il y a là une dimension spectacle. J’ai un grand plaisir à montrer les choses et à créer des sensations.