A quel moment dans votre vie le design est-il devenu ce que vous vouliez faire ?
Constance Guisset : Mon cas est un peu particulier. J’ai toujours été bricoleuse. Je fabriquais des choses et j’avais donc un petit établi quand j’avais 8 ans puis une scie à chantourner à 11… Certains enfants font des dessins, moi je faisais des boîtes à lettres ! Arrivée en pension, j’avais moins de temps et de place pour cela. Je me suis donc tournée vers le dessin. Au moment de choisir mon métier, je m’étais dit que j’aimerais bien être ébéniste, pour fabriquer des choses. Comme j’étais en avance, je me suis dit que j’allais faire d’autres études avant. Je n’étais pas mauvaise en classe, j’ai donc fait une école de commerce où chaque fois qu’il fallait fabriquer des décors ou de la direction artistique sur quelque chose, c’est moi qui m’y collais. J’étais toujours dans cette logique de fabrication et de conception. Mais la décision n’était pas prise. Quand j’ai étudié à Sciences Po, je faisais en même temps de la menuiserie. A un moment, je me suis dit que cela devenait ma seule voie. J’ai décidé de travailler et d’évoluer vers la création. J’ai donc travaillé dans une galerie. Et là, tout à coup, tout ce que je faisais en parallèle, du modelage, de la calligraphie, je ne pouvais plus le faire faute de temps. C’était impossible pour moi d’y renoncer, car c’est ce qui me permettait de vivre. Je me suis alors demandée ce que je voulais faire, artiste ou designer. J’ai choisi le design parce que j’ai toujours eu cet appétit pour la fabrication. C’est aussi une sorte d’analyse technique et mécanique de la vie à travers les objets. Je me suis dit que c’était de cela que j’avais envie, donc je suis repartie à zéro.
Au fond, est-ce que vous n’entrez pas dans la création avec l’aspect gestion déjà étudié ?
Oui. Au début, je voulais faire l’ENSCI en parallèle et puis finalement non, je me suis libérée pour y entrer. Au premier cours, qui est un cours de maquette, le professeur me dit, un peu aigre, « Alors, comme ça, t’as fait du marketing, tu penses que ça va être facile… » Mais il a vu rapidement que je savais faire des choses avec mes mains.
Vous êtes en train de nous dire que vous êtes une technicienne…
Très souvent je me rends à l’usine. Il peut facilement y avoir cet espèce d’a priori sur les femmes un peu moins techniques. En général, au bout d’une heure, les personnes avec qui je converse réalisent que j’ai plutôt des solutions techniques. Je pense comme ça. Je ne peux pas vous le dire autrement. Je me dis : comment on va fabriquer ça ? Là, on est train de construire une cabane dans les arbres avec mon fils. Si je pars courir, je ne pourrai pas m’empêcher de penser à comment on va la fabriquer. Je suis dans ce type de pensées. Comment améliorer ? Comment faire ?…
Que devient cette majorité de filles que l’on voit dans les écoles de design et moins dans le cercle des designers dont on parle ?
On ne sait pas. Est-ce qu’elles intègrent des agences ? Elles sont en tout cas moins sur le devant de la scène… Est-ce qu’elles s’autocensurent ? Est-ce qu’il n’y a pas assez de modèles ou de professeurs femmes dans certaines écoles ? A l’ENSCI, il n’y a pas de professeurs titulaires qui soient des femmes. Est-ce que l’industrie leur laisse la même chance ? Est-ce qu’elles ne se disent pas elles-mêmes que c’est beaucoup d’énergie pour monter son agence ? Que deviennent-elles ? Je ne sais pas mais la réponse est peut-être à chercher dans le mélange de toutes ces questions. J’aime à penser que cela va se rééquilibrer avec le temps. Dans toutes les statistiques d’écoles, on observe que les filles réussissent mieux à l’écrit qu’à l’oral. Quand j’étais à l’Ensci, il y avait un peu plus de filles que de garçons. Mais ensuite, vous arrivez sur un marché du travail où les designers femmes qui ont une agence sont moins nombreuses. A un moment, elles font d’autres choix et sont certainement moins visibles.
Votre CV ne laisse pas soupçonner votre côté manuel…
Si vous me demandez si je suis plus intellectuelle que manuelle, je vous réponds sans hésiter que je suis plus manuelle. J’ai été plutôt bonne élève, mais j’ai plutôt un sens pratique. J’étais bonne en mathématiques car je sais résoudre les problèmes. C’est la même chose que de fabriquer un objet. L’autre jour, j’expliquais à ma fille comment analyser un problème de maths et que l’important était de se demander : « Qu’est-ce qu’on fait ? » L’un de mes tics de langage les plus fréquents, c’est de dire : « Mais de quoi on parle, en fait ? » Très souvent, on vient me parler d’un problème au bureau et c’est ce que je dis. Une fois la problématique posée, on trouve des solutions. C’est une approche mécano-mathématique des problématiques.